Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/577

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’équilibre est quelquefois rompu par des crises politiques qui compromettent la sécurité générale, d’autres fois par des accidens naturels, tels que les mauvaises récoltes, accidens qui ont pour effet de donner une cherté extraordinaire à un produit de première nécessité, et d’absorber en grande partie sur ce produit, au détriment des autres, les ressources de la consommation. Il n’y a point à s’occuper ici des crises politiques, car ces crises placent les établissemens de crédit en dehors des règles ordinaires de la prudence commerciale, et leur imposent des mesures exceptionnelles, dictées par l’intérêt politique du moment et la loi du salut public. Il n’en est pas de même dans le second cas, lorsque les rapports de la production avec la consommation sont altérés par un accident naturel ; alors en effet les établissemens de crédit conservent leur liberté d’action, et doivent conformer strictement leur conduite aux principes du commerce.

Que la rupture de l’équilibre provienne soit d’un excès de production causé par les entraînemens de la spéculation commerciale, soit d’un resserrement des ressources de la consommation occasionné par un accident naturel, tel qu’une mauvaise récolte, le devoir des établissemens de crédit est le même : ils doivent combiner le prix et les conditions du crédit de façon à rétablir le niveau entre la production et la consommation. D’ailleurs ce devoir ne se présente pas seulement aux banques comme une de ces lois dont l’application laisse place à des hésitations de jugement et à des appréciations débattues : il s’impose à elles comme une nécessité. La rupture de l’équilibre entre la production et la consommation se trahit et s’annonce en effet toujours par un resserrement du numéraire.

Le phénomène que l’on désigne dans le langage usuel par les mots resserrement et rareté du numéraire provient de deux causes faciles à comprendre. Une de ces causes agit à l’intérieur du pays où la rareté se manifeste, l’autre se révèle dans son commerce extérieur. Voyons d’abord ce qui se passe à l’intérieur. Toute consommation est précédée de la réalisation en numéraire du produit qu’elle absorbe. Lorsque la consommation se refuse à un produit, entre elle et la branche de l’industrie à laquelle ce produit appartient la circulation du numéraire s’arrête. À ce moment-là, si la crise est l’effet d’un excès de production, la consommation aura donné à la circulation du numéraire toute l’activité qu’elle pouvait lui imprimer, et son énergie ne pourra pas aller plus loin ; si la crise est l’effet d’une mauvaise récolte et de l’excessive cherté des denrées alimentaires, la consommation aura détourné et porté sur ces denrées une grande partie du numéraire qu’elle appliquait ordinairement aux autres produits. Dans les deux cas, le producteur délaissé par la consommation ne trouve plus dans les canaux naturels par lesquels devaient