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on demande à emprunter ? C’est une marchandise que son détenteur ne peut pas ou ne veut pas vendre. Si la marchandise ne peut pas se vendre, c’est (dans les temps réguliers) que le marché est encombré, qu’il y a eu excès de production. On voit quel peut être l’effet de prêts sur nantissement fournis par un grand établissement public en pareilles circonstances : ils tendent à encourager un désordre dans la production et une erreur commerciale qui doivent avoir pour répression et pour remède la baisse des prix. Si c’est le détenteur de la marchandise qui ne veut pas la vendre, en soutenant ce détenteur par des prêts, un établissement de crédit s’expose à favoriser une élévation artificielle des prix, et s’associe à une spéculation à la hausse. Dans les deux cas (et, nous le répétons, nous ne parlons ici que des temps réguliers), un établissement de crédit commercial, en prêtant sur marchandises, sort de ses attributions normales, et va même contre le but de sa création, qui est la circulation des produits, puisqu’il dérobe la portion de ces produits qu’il prend en nantissement aux lois naturelles qui doivent en régler les mouvemens et les prix sur le marché.

C’est ce que le Comptoir d’escompte paraissait comprendre à son origine, car nous lisons dans le premier rapport de son directeur, en 1848, à propos des prêts sur dépôts : « Cette facilité ne serait pas sans dangers pour ceux mêmes qui doivent en profiter, si elle n’était restreinte dans les limités d’une sage prévoyance et réglée sur des estimations modérées, afin de faciliter et de hâter les retraits des marchandises déposées. Ces dépôts ne doivent jamais être considérés par les négocians que comme une ressource momentanée essentiellement transitoire. » Le prêt sur marchandises n’était donc considéré, dans le principe, parle Comptoir que comme une mesure de circonstance ; c’était un secours apporté au commerce dans une situation désastreuse, qui était la conséquence, non des fautes de la spéculation commerciale, mais d’une révolution politique. À ce point de vue, la création des sous-comptoirs pour organiser ces prêts sur marchandises avec de plus solides garanties était un expédient utile et bienfaisant, justifié par le malheur des circonstances, mais qui aurait dû être temporaire comme elles. Continuer à appliquer, dans les temps prospères et dans les situations normales, les secours imaginés pour parer à une crise accidentelle, c’est rendre au commerce un mauvais service, c’est lui fournir des stimulans artificiels, c’est compromettre des ressources qu’on ne retrouverait plus, ou qu’on réunirait bien difficilement le jour où des perturbations analogues les rendraient encore nécessaires.

Nous insistons sur le danger de cette tendance du Comptoir d’escompte pour deux raisons.

La première, c’est que le Comptoir d’escompte est une société anonyme.