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filtrent partout. Et qui ne sait que ce sont les Arabes qui ont appris le péripatétisme aux Albert le Grand et aux saint Thomas ? L’histoire de la philosophie arabe, voilà encore une lacune immense ; voilà un livre à écrire. M. Renan en a donné un beau chapitre dans son Averroès ; aucunes mains ne seraient plus capables d’élever le monument.

Mais nous ne voulons parler aujourd’hui que de la philosophie moderne ; son histoire est si peu terminée que, depuis deux ans, il s’est publié un grand nombre d’écrits pleins de recherches nouvelles et intéressantes sur Ramus, sur le cartésianisme, sur Spinoza et Leibnitz, sur Kant et Hegel. Une esquisse rapide suffira pour faire voir que ces travaux ont quelque chose à apprendre aux plus savans.


Rien de plus animé, de plus dramatique, de plus attrayant que cette première époque de la philosophie moderne qu’on appelle la renaissance ; aussi a-t-elle eu sa bonne part dans les travaux de l’école moderne. Vanini, Giordano Bruno, Jacob Bœhme, ont les premiers attiré les regards, et c’était justice ; mais Vanini et Bruno sont des Italiens, Bœhme est Allemand. Qu’est-ce à dire ? la France serait-elle restée étrangère au mouvement de la renaissance philosophique ? Non, certes, car s’il est au XVIe siècle un personnage remarquable par l’audace de ses entreprises et l’étendue de son influence, c’est un Français, un compatriote de Calvin, l’illustre et infortuné Ramus.

Les grands traits de cette figure historique, dispersés dans De Thou, dans Étienne Pasquier, dans Scévole de Sainte-Marthe, ont été réunis par Bayle et par Brucker, sans parler des dévots de Ramus comme Nancel et ces deux savans hommes, Freigius et Banosius, dont les petits dissentimens ont égayé Voltaire[1]. Malgré le nombre et la richesse de ces matériaux, il restait encore une foule de particularités à éclaircir ; il restait à faire connaître les écrits de Ramus, autrefois si populaires et tirés à vingt éditions, aujourd’hui si prodigieusement rares ; il restait enfin à caractériser le génie et l’influence de ce puissant réformateur, qui a tant honoré la philosophie et la France. M. Waddington s’est chargé de cette noble entreprise, philosophique et patriotique tout à la fois. Il a écrit la biographie de Ramus avec un soin religieux et en homme qui ne veut rien laisser à faire après lui. Aussi bien il n’y aura désormais aucune part d’inconnu dans les moindres détails de cette orageuse carrière, terminée par une fin si tragique. C’est un récit complet et définitif, modèle de patience, d’exactitude et d’érudition.

  1. Dictionnaire philosophique, art. Du Quisquis de Pamus ou La Ramée.