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valeurs que la crise politique rendait irréalisables ou frappait d’une dépréciation énorme, furent obligées de suspendre leurs paiemens, de liquider et d’arrêter leurs affaires. Par nécessité ou par prudence, les banquiers particuliers interrompaient partout alors leurs opérations. Le grand rouage du crédit commercial, l’escompte, cessa de fonctionner dans toute la France. La suspension du crédit amenait inévitablement celle de l’échange, de la production et du travail. On se trouvait ainsi, au lendemain de la révolution, en présence de la plus douloureuse et de la plus redoutable de ses conséquences, l’interruption et la ruine du travail national. Le gouvernement provisoire se hâta de conjurer ce désastre par un décret du 7 mars, qui décidait la création de comptoirs d’escompte dans toutes les villes industrielles et commerciales.

Le premier trait de l’organisation de ces comptons fut la forme de société anonyme qu’on leur octroya (les nécessités et l’urgence de la situation l’exigeaient impérieusement), en les dispensant de l’autorisation ordinaire du conseil d’état. Le propre de la société anonyme, on le sait, et il est bon de le rappeler en ce moment, c’est qu’elle constitue pour les personnes entre lesquelles elle est formée une exemption des responsabilités commerciales auxquelles les autres sociétés sont soumises. Dans la société en nom collectif, tous les associés sont responsables des pertes vis-à-vis des tiers ; si le capital social est absorbé, la fortune personnelle de chacun des associés répond des dettes de la société ; la responsabilité dépasse même les biens et atteint la personne, le commerçant étant passible de la contrainte par corps. Dans la société en commandite, cette responsabilité ne pèse que sur le gérant ou les gérans : les associés commanditaires en sont affranchis à la condition qu’ils n’aient fait aucun acte de gestion ; leur sort est, sous ce rapport, plus favorisé en France qu’il ne l’était naguère en Angleterre[1]. Dans, ce dernier pays, je principe de la responsabilité commerciale était jusqu’à ces derniers temps appliqué dans toutes ses conséquences aux actionnaires des joint-stock companies, et l’on y a vu souvent des personnes compromises de toute leur fortune par la possession de quelques actions d’une minime valeur, Dans la société anonyme, ces responsabilités n’existent, ni pour les gérans ni pour les actionnaires. Cette société n’est considérée que comme une association entre capitaux. Le capital de la société répond seul, des pertes vis-à-vis des tiers, et les actionnaires ne sont tenus qu’au paiement des actions par eux souscrites. Il n’y a donc d’autre risque à courir dans une société semblable que la perte du capital sur

  1. Le parlement anglais est en train de réformer cette partie de la législation britannique et d’organiser la liberté en matière d’association commerciale.