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chef kurde de fort mauvais conseils. Parmi les personnes composant la suite de Méhémed, il y avait un grand-maître des cérémonies dont le devoir était d’indiquer au captif les visites qu’il avait à faire et en général toutes les démarches exigées par l’étiquette. Méhémed savait fort bien que sous prétexte de lui enseigner les lois de la politesse, on lui traçait une ligne de conduite dont il ne lui était pas permis de se départir. Aussi, lorsque le seigneur Hussein-Effendi informa son excellence que son altesse le grand-vizir serait sans doute ravie de recevoir sa visite, Méhémed s’empressa d’obéir, et, suivi de son chambellan, il se rendit au palais de Rechid-Pacha. Son cortége était imposant par le nombre et le luxe des vêtemens, quoiqu’il se composât de geôliers déguisés. Arrivé chez le grand-vizir et introduit sans délai, Méhémed fut reçu par son altesse, qui vint au-devant de lui jusque sur la première marche de l’escalier. Cette visite se passa toute en complimens. Le grand-vizir, exprima sa satisfaction de voir enfin un hôte aussi illustre dans l’enceinte de la capitale, et son regret de ne pas avoir joui plus tôt de ce bonheur. Il s’enquit avec sollicitude de la commodité des logemens qui lui avaient été destinés, s’excusa de ne pas avoir mieux fait, et pria Méhémed de lui faire connaître ses désirs, s’engageant d’avance à les satisfaire, De son côté, Méhémed se confondit en remerciemens pour le gracieux accueil dont il était l’objet si bien qu’un témoin ordinaire de cet entretien n’eût jamais découvert qu’un des interlocuteurs était captif, condamné vingt fois par contumace, et l’autre son juge et l’arbitre de sa vie. Méhémed, inspiré par le grand-maître des cérémonies, exprima l’espoir d’être admis à embrasser les genoux de son souverain, et le grand-vizir l’assura de son empressement à porter ses vœux au pied du trône et à lui transmettre sous peu une réponse qu’il espérait favorable. Sur un signe imperceptible du grand-viizir, lequel signe fut aussitôt imperceptiblement répété par le grand-maître, Méhémed se leva.

Malgré ces apparences, qu’un Européen eût pu croire favorables, le chef kurde touchait au terme de son aventureuse carrière, et je n’ai plus que peu de mots à dire pour terminer ce récit. Je dois faire remarquer avant tout qu’il ne s’agit point ici d’une simple fiction romanesque. Tous les renseignemens sur les Kurdes et sur leur chef m’ont été donnés par les habitans du pays même qui avait eu à souffrir de leurs ravages, J’ai connu personnellement Méhémed-Bey, et j’ai reçu de lui l’assurance que mes troupeaux seraient respectés par ses gens à l’époque où la contrée était désolée par leurs brigandages. J’appris plus tard l’arrestation de Méhémed-Bey, je fus aussi informée de sa mort, qu’on ne savait trop comment expliquer. Le chef kurde avait-il succombé à cet excès de douleur que les Anglais