rageât les rebelles à persister dans leur révolte. Et en effet, si un homme tel que Méhémed-Bey, après avoir bravé l’autorité souveraine, ensanglanté les routes et les déserts, vécu de rapines et de brigandages, recevait pour tout châtiment un bel hôtel et une grosse pension, ne fallait-il pas s’attendre à voir les plus grands scélérats se vanter de leur scélératesse et en demander effrontément la récompense ? — Les ministres portés à l’indulgence, poursuivit le patriarche, avaient hésité un instant devant ces argumens ; ils avaient demandé ensuite à leurs adversaires quel parti ils leur conseillaient de prendre, puisque ni la clémence ni la rigueur ne leur paraissaient sans péril. Ceux-ci avaient fait observer qu’il existait divers moyens pour empêcher un prisonnier de s’évader, qu’il serait possible par exemple de retenir Méhémed par la perspective d’un traitement agréable jusqu’à ce que l’occasion se présentât de se défaire de lui par des voies détournées et mystérieuses. On avait cité à l’appui de cette opinion, maints et maints exemples puisés dans les annales de l’empire. Le conseil avait repoussé avec indignation ces ouvertures et la séance avait été levée. — Telle était la situation selon le patriarche. Il passa ensuite à l’énumération des amis et des ennemis de Méhémed, lui recommandant la plus entière confiance dans les uns et la méfiance la plus scrupuleuse vis-à-vis des autres. Il lui indiqua aussi plusieurs démarches qu’il jugeait utiles et le conjura surtout de ne pas tenter d’évasion, de fermer l’oreille à toute proposition séditieuse, de quelque part qu’elle lui vînt, et de mettre son espoir dans le prince et dans le grand-vizir. Il se retira ensuite en promettant de revenir et de le tenir au courant de ce qu’il apprendrait sur son compte.
D’autres visites succédèrent à celle du patriarche, et bientôt l’antichambre, du captif ressembla à celle d’un ministre. En Europe, pareille affluence eût été de bon augure pour le prisonnier ; mais en Orient les choses n’ont pas la même signification. Tout disgracié, tout captif qu’il était, Méhémed ne cessait pourtant pas d’être bey, chef de son peuple, un grand personnage enfin, et on eût plutôt songé à ne pas s’approcher du feu par un vent du nord qu’à lui refuser les honneurs dus à son rang. Le gouvernement le plus soupçonneux n’eût pas pris ombrage d’un semblable empressement, et on a vu plus d’une fois le fatal cordon surprendre le condamné entouré d’une cour nombreuse, qui ne se retirait qu’après l’exécution.
Les visiteurs que reçut Méhémed-Bey ne tinrent pas tous cependant le même langage. Les uns parlèrent à peu près comme le patriarche, les autres s’abstinrent soigneusement de tout sujet politique ; d’autres encore déclamèrent contre le gouvernement, et donnèrent au