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dans la maison, monta l’escalier, et introduisit son hôte dans une salle où plusieurs femmes s’agitaient et chuchottaient comme une volée de moineaux pendant une froide matinée d’hiver, lorsque la neige couvre la plaine, et qu’ils voltigent en troupe, cherchant leur pâture de buisson en buisson. — Ne pourriez-vous nous conduire dans une pièce plus reculée ? demanda Méhémed au vieillard ; ma femme a surtout besoin de repos.

Une des femmes entendit ces mots, et s’élança vers une porte qu’elle ouvrit en faisant signe à Méhémed d’entrer dans la pièce voisine, ce que celui-ci fit sans plus de cérémonie. Une fois dans cette retraite, il déposa Habibé sur un divan, la dégagea de ses voiles, et l’établit aussi commodément qu’il le put. On ne lui laissa pourtant pas grand’chose à faire, car l’essaim féminin qui l’avait suivi ne tarda pas à se disperser en tous sens, et revint bientôt, portant des coussins, des couvertures, du café, des pipes, des confitures, en un mot tous les élémens du bien-être oriental. Et qu’on ne s’étonne pas de voir ainsi les femmes turques se mouvoir sans scrupule sous les regards d’un étranger. Cet étranger n’en était plus un, il avait ses entrées dans le harem, il était le mari de l’une d’elles ; dès-lors c’était un parent, un frère, et il n’y avait plus pour lui de mystère. Cela était si conforme aux règles établies, que le vieil Hassan lui-même ne songea pas à s’en formaliser. Il s’étonna seulement de ne pas voir sa belle-fille Fatma parmi les femmes qui remplissaient ainsi les devoirs de l’hospitalité. Il s’enquit d’elle, mais la mère d’Erjeb lui dit tout bas que son fils avait emmené Fatma avec assez d’humeur, et le vieillard n’insista point. Lorsque Méhémed se fut assuré que sa bien-aimée ne manquait de rien, il jugea qu’un peu de repos lui serait salutaire, et il pria Hassana de faire appeler le serviteur qui devait se rendre à la ville. Les deux Turcs passèrent dans l’antichambre, et le vieillard chargea une esclave d’aller chercher le serviteur auquel il avait ordonné de se tenir prêt. L’esclave revint bientôt, suivie d’Erjeb. — Saed a la fièvre, dit le jeune homme à son père, et il ne serait pas prudent de le charger de commissions importantes, qu’il comprendrait à peine et qu’il exécuterait de travers ; mais dites-moi ce qu’il faut faire, et j’irai moi-même.

Hassana parut touché de l’empressement de son fils, et il laissa Méhémed-Bey expliquer en détail à Erjeb tout ce qu’il attendait de lui.

— Vous serez satisfait de mon exactitude et de ma célérité, répondit Erjeb avec un sourire qui n’avait rien d’agréable. Quant à ma fidélité, je n’ai pas à vous en parler : je suis le fils de mon père, et cela suffit.