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à l’issue du souterrain, mais non au terme du voyage. S’approchant d’une large pierre qu’il connaissait bien, Méhémed appuya la main sur un ressort, et la pierre tourna sur elle-même. Habibé poussa un cri d’effroi… Un précipice de quelques centaines de pieds de profondeur s’ouvrait devant les fugitifs, éblouis, au sortir des ténèbres, par les rayons d’un brûlant soleil d’Asie.

Pour comprendre l’effroi d’Habibé, il faut se représenter l’issue de la caverne, pratiquée au tiers d’une muraille perpendiculaire de rochers de douze cents pieds de haut ! Pas une pierre formant saillie sur laquelle poser le pied, pas un arbre, pas une racine sortant des fentes du rocher, où la main pût s’accrocher, — rien que la muraille à pic et l’abîme au fond. Méhémed ne paraissait pourtant ni étonné ni alarmé. Se dirigeant vers un enfoncement de la caverne, il eut bientôt découvert ce qu’il y cherchait : c’était une corde de nœuds, d’une longueur démesurée, garnie à l’une de ses extrémités d’un crochet en fer massif. À côté de celle-ci étaient plusieurs autres cordes, pareilles à la première, mais beaucoup plus courtes. Après avoir roulé ces dernières autour de sa taille, il montra la plus grande à Habibé avec un air de triomphe, comme s’il eût tenu la clé d’un palais tout prêt à les recevoir. Il passa ensuite le crochet dans un anneau également solide, et qu’Habibé n’avait pas remarqué, parce qu’il était placé en dehors de la pierre tournante. — Et maintenant, dit Méhémed, ne fais pas le moindre mouvement, ne crains rien et ferme les yeux, si tu peux. — La pauvre femme avait grand’peine cependant à obéir : elle ne pouvait ni se tenir immobile, vu qu’elle tremblait de tous ses membres, ni se rassurer, puisqu’elle se voyait déjà brisée en mille morceaux contre les rochers. Quant à fermer les yeux, elle comprit l’utilité de cette précaution, et elle essaya de la mettre en pratique ; mais avant que Méhémed eût lâché pied, ses yeux étaient déjà tout grand ouverts, ouverts de telle sorte qu’on eût dit que ses paupières s’étaient subitement contractées, et ne pourraient jamais plus s’abaisser. Habibé avait compris, au balancement de la corde, qu’elle était suspendue entre le ciel et la terre, entre le sommet et le pied de la montagne escarpée. Elle serra ses bras autour du cou de Méhémed, et quoiqu’elle s’y prît de façon à lui ôter la respiration, le vaillant Kurde n’eut pas le courage de se plaindre. À chaque nœud de la corde, Méhémed s’arrêtait un instant, passait une main d’abord et l’autre main ensuite sous le nœud, pour éviter les secousses qui eussent effrayé sa compagne. Lorsqu’il eut descendu ainsi sept ou huit nœuds, il cramponna ses jambes à la corde et se soutint avec une main, tandis que de l’autre il détachait l’une des cordes roulées autour de sa ceinture, et en passait le crochet dans une crevasse du rocher ; puis il continua sa route, plaçant