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prends pas ? Pourquoi dirais-je adieu à l’amour, au bien-être et à la gloire ? Tu ne parlais donc pas sérieusement tout à l’heure ? Tu ne m’as donc jamais aimé ?…

Pour toute réponse, Habibé jeta ses bras autour du cou de Méhémed, mais elle cacha presque aussitôt son visage contre sa poitrine. — Le froid me gagne, dit-elle. — Et en effet une fièvre violente l’avait reprise. Méhémed s’empressa de la porter sur le divan et de l’entourer de fourrures.

La fièvre dura toute la nuit avec une effrayante intensité. Pendant les longues heures de cette nuit, Méhémed ne s’éloigna pas un instant de la malade ; il l’enveloppait dans les fourrures lorsqu’elle se plaignait du froid, il établissait des courans d’air autour d’elle lorsque le feu de la fièvre brûlait son sang. Il versait goutte à goutte de l’eau fraîche sur ses lèvres desséchées et brûlantes ; il tâchait de suivre les écarts de son imagination pour calmer ses terreurs et adoucir ses angoisses. Peu à peu pourtant l’accès s’affaiblit, la peau, jusque-là brûlante, devint moite, le délire s’apaisa, le sommeil lourd et agité qui succède à la fièvre, qui en est comme la dernière phase, s’appesantit sur Habibé. Ce sommeil dura deux heures, et le soleil paraissait à l’horizon lorsqu’elle ouvrit les yeux et regarda autour d’elle avec cette expression d’étonnement que le délire laisse après lui. Son regard tomba d’abord sur Méhémed, et, se souvenant confusément de son état, elle demanda aussitôt : — Qu’ai-je dit ?

— Rien, ma bien-aimée, rien que des mots sans suite, comme cela arrive aux malades, rien que j’aie compris et dont je me souvienne.

Puis il s’informa avec anxiété de ce qu’elle éprouvait. Habibé ne ressentait qu’un extrême abattement, et la journée se passa pour elle dans des alternatives de rêve et de sommeil, pendant lesquelles elle voyait et comprenait ce qui se passait autour d’elle sans pourtant s’en rendre bien compte. Une fois seulement elle fut surprise, à la suite d’un de ces courts momens de repos, de ne pas apercevoir Méhémed auprès d’elle. Elle ouvrit la bouche pour l’appeler, mais sa voix se perdit sur ses lèvres, et elle-même ne s’entendit pas, Combien de temps dura son absence ? Habibé l’ignora ; mais lorsque Méhémed rentra, il tenait à la main des racines qu’il s’empressa de faire bouillir. — D’où viens-tu, Méhémed ? lui dit Habibé, et pourquoi me quitter ?

— Je connais une plante dont l’effet est souverain dans les fièvres comme la tienne, et je suis allé la chercher.

— Où cela ? reprit Habibé, qui sentait vaguement le danger.

— Ici tout près, dans un endroit écarté que moi seul connais.

Et il lui fit boire la tisane qu’il avait préparée. Le fait est que le