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plus que par l’ancien hommage. Le plus puissant des boulevards, ne sera-ce pas une nation ?

Je sais bien que la plus grande crainte des hommes, en laissant arriver des états nouveaux à la vie, c’est d’augmenter la force des novateurs dans le monde, et c’est en quoi l’erreur est évidente. Nous avons vu les états les plus nouveaux si heureux de vivre, qu’ils se sont rattachés aussitôt à tout ce qui représente le mieux le passé ; ils ont racheté leur nouveauté en s’alliant de cœur aux vieux états. Rassurez-vous. Combien de Roumains aujourd’hui révolutionnaires deviendront les partisans du statu quo dès qu’ils auront une heure de vie !

Après ces questions, il s’agit toujours de savoir si le chemin que l’on suit entre ces renaissances et ces ruines conduit à la civilisation ou à la barbarie. Ce point est le dernier que j’examinerai.

On demande pourquoi la barbarie est entrée d’un seul coup, et à pleins bords, dans la civilisation antique. Je crois pouvoir le dire. Il est étonnant qu’une cause si simple ne frappe pas tous les yeux. Le système de la civilisation antique se composait d’un certain nombre de nationalités, de patries, qui, bien qu’elles semblassent ennemies, ou même qu’elles s’ignorassent, se protégeaient, se soutenaient, se gardaient l’une l’autre. Quand l’empire romain, en grandissant, entreprit de conquérir et de détruire ces corps de nations, les sophistes éblouis crurent voir au bout de ce chemin l’humanité triomphante dans Rome. On parla de l’unité de l’esprit humain ; ce ne fut qu’un rêve. Il se trouva que ces nationalités étaient autant de boulevards qui protégeaient Rome elle-même, car chacune d’elles faisait face à un côté de la barbarie : Carthage aux Arabes, la Grèce aux Mèdes, aux Perses, l’Égypte aux Africains, le royaume de Pont aux Mongols, les Daces aux Scythes, les Gaules à la Germanie. C’était là un système dans lequel tout se tenait en équilibre, et qui se maintenait par des forces opposées. Lors donc que Rome, dans cette prétendue marche triomphale vers la civilisation antique, eut détruit l’une après l’autre Carthage, l’Égypte, la Grèce, la Judée, la Perse, la Dacie, les Gaules, il arriva qu’elle avait dévoré elle-même les digues qui la protégeaient contre l’océan humain sous lequel elle devait périr. Le magnanime César, en écrasant les Gaules, ne fit qu’ouvrir la route aux Germains. Tant de sociétés, tant de langues éteintes, de cités, de droits, de foyers anéantis, firent le vide autour de Rome, et là où les Barbares n’arrivaient pas, la barbarie naissait d’elle-même. Les Gaulois détruits se changeaient en Bagaudes. Ainsi la chute violente, l’extirpation progressive des cités particulières causa, l’écroulement de la civilisation antique. Cet édifice social était soutenu par les nationalités comme par autant de colonnes différentes de marbre ou de porphyre. Quand on eut détruit,