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Aussi ses opinions sont-elles encore plus confuses que trompeuses, et jamais aucun art d’ingénieuse exposition n’a réussi à prêter à ses doctrines même le moindre degré d’intelligibilité scientifique.

Sir W. Hamilton ne peut guère se dispenser de prendre ces derniers mots pour lui, car il a écrit un chapitre avec ce titre : Que l’argument du sens commun est strictement philosophique et scientifique. Lorsque les philosophes se traitent entre eux de la façon dont M. Ferrier parle de Reid, c’est un jour de divertissement pour le public. Ces démentis absolus dont ils s’accablent réciproquement sont une des causes qui ont le plus nui au crédit de la science, et je ne sais que les théologiens et peut-être les médecins qui dans leurs querelles aient fait encore meilleur marché des intérêts et de la dignité de la cause commune. Nous voudrions voir l’ouvrage de M. Ferrier jugé par sir W. Hamilton. En attendant, nous soumettrons au dernier une observation qui est à peine une critique. Ne trouve-t-il pas qu’il y a de l’exagération dans le reproche de scepticisme adressé par la philosophie du sens commun à toute philosophie plus déductive qu’inductive, comme dans le privilège de certitude dogmatique qu’elle s’attribue à elle-même avec une si absolue confiance ? Le scepticisme est la plupart du temps purement polémique. On use ou plutôt on abuse de ce fait que l’homme se sert à lui-même de témoin et de juge, puisqu’il n’a que ses sens pour atteindre les choses sensibles et sa raison pour connaître des choses rationnelles. Au point de vue de l’expérience de la vie morale, qui ne permet d’accepter personne pour juge dans sa propre cause, au point de vue de la logique pratique, qui demande ou cherche la preuve de toute proposition, il semble y avoir au fond de toute science humaine une usurpation de pouvoir ou une affirmation gratuite. C’est avec cette idée fort simple, et pour ainsi dire vulgaire, que les sceptiques les plus ingénieux, les plus profonds, échafaudent l’édifice de leur doute. Seulement ils oublient toujours d’établir par leurs propres principes que les deux points de vue, celui de l’expérience morale et celui de la logique pratique, soient ici à leur place, et de démontrer, sans témoigner pour soi-même ou sans prendre la thèse pour la preuve, qu’il ne faut pas se servir à soi-même de témoin ni confondre la thèse avec la preuve. Il y a donc une inconséquence ou plutôt un cercle vicieux dans l’argument du scepticisme, qui lui-même reproche à ses adversaires une pétition de principe. Ainsi de part et d’autre on s’adresse une objection de même calibre : on se reproche mutuellement de prendre la raison pour titre de la raison. C’est cette critique toute de forme que l’on exploite et que l’on amplifie ; c’est cette arme que l’on aiguise, que l’on reforge dans toute controverse sur l’origine ou la validité de nos connais-