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et comme parle saint Augustin, cognoscendo ignoratur et ignorando cognoscitur. C’est ce qui ressort d’une dissertation sur la notion de cause et sur les diverses théories auxquelles cette notion a donné naissance. La vraie théorie d’après l’auteur, c’est que l’intelligence ne peut rien concevoir que sous la condition d’une existence relative dans le temps, que nous ne pouvons par conséquent concevoir ni le commencement absolu ni la fin absolue, d’où résulte nécessairement l’idée d’une connexion entre les choses qui se succèdent, ou le rapport de cause et d’effet. Aussi la cause créatrice elle-même n’est-elle conçue que comme une puissance telle que, par le fiat qui émane d’elle, l’existence du monde fait une évolution de la possibilité à l’actualité. En tout, l’acte de la création nous apparaît surtout comme un acte de volonté ; la transition du néant à l’être est en soi incompréhensible. De cette philosophie circonspecte et réservée, un élève de Kant aurait déduit le scepticisme ; un disciple de Reid conclut au contraire la certitude, qui n’est pour lui que la foi dans notre raison telle qu’elle est faite.

C’est ce que sir William Hamilton appelle avec beaucoup de justesse un réalisme naturel. Reid, qu’on en peut regarder comme le plus habile promoteur, a pensé que l’autorité de nos croyances primitives n’avait été affaiblie que par l’impossibilité prétendue où s’étaient trouvés les philosophes d’admettre que l’esprit pût, même dans la sensation, percevoir les objets. Suivant Reid, ils ont imaginé que l’œuvre de la sensation était de produire en nous une image qui seule était perçue par l’esprit, et cette théorie des idées intermédiaires entre l’objet de la sensation externe et la connaissance indirecte de cet objet lui a paru l’erreur fondamentale de toute la philosophie. C’est à la retrouver dans les divers systèmes qu’il a destiné toutes ses recherches ; c’est à la combattre qu’il a consacré tous ses soins ; c’est à la vaincre qu’il a attaché sa gloire. Or le docteur Brown, bien qu’élève et successeur de Stewart, a prétendu que Reid et Stewart après lui avaient prêté aux philosophes une opinion qui n’était pas la leur, et qu’en établissant la doctrine de la perception, c’est-à-dire en soutenant avec le vulgaire, ou plutôt avec le genre humain, que les sens nous mettent en rapport avec la réalité, et que nous connaissons des choses en percevant les objets ou leurs qualités, ils avaient eux-mêmes restauré le doute qu’ils prétendaient détruire, et ramené l’incertitude au cœur de la connaissance humaine. Dans une Revue d’Édimbourg de 1830, à propos de la traduction de Reid par Jouffroy, sir William Hamilton a entrepris la défense du fondateur de l’école écossaise, et avec une grande supériorité dans l’intelligence des citations et dans l’analyse dialectique des théories, il paraît avoir convaincu le docteur Brown d’une double