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le héros principal de la Franconie ; le prodige qui s’y renouvelle le plus souvent est celui de la chasse sauvage. Sur le Bas-Danube, les récits populaires, qui ont là un charme particulier de fraîcheur et de nouveauté, nous offrent l’image de ces sociétés primitives, encore à l’état d’ébauche, où il n’y a au plus que trois ou quatre personnages : le boyard, le prêtre, le paysan et le zingaro. Dans la catholique Bavière, l’église joue le beau rôle : l’imagination du peuple n’y est pleine que de châtimens surnaturels infligés à l’impie et au blasphémateur. Près de là, les simples montagnards du Tyrol se consolent de leur misère en redisant, sous vingt formas différentes, les aventures du pâtre qui rencontre une princesse emprisonnée dans le corps d’un crapaud, la délivre et l’épouse. Pauvres, ils croient que le morceau de pain refusé au pauvre se change en serpent pour dévorer l’homme dur qui ne sait pas donner. Fléchissant sous le poids d’une vie de labeur, ils ont un génie propice qui leur garde du moins intactes les heures consacrées au repos. Sont-ce là des inventions de l’art ? Ces traits d’une simplicité pénétrante, un caprice de poète servi par le hasard eût-il pu les créer ? eût-il pu les semer si profondément dans le peuple et les fondre en lui ? La légende, n’est-ce pas l’essence même de la vie populaire ? Admirable pouvoir de l’imagination, ou plutôt admirable candeur des bonnes âmes ! Travail excessif, souffrances, dureté des méchans, aspirations impuissantes vers le bien-être et la richesse, bouffées d’ambition, rien de tout cela n’allume chez elles l’envie ou la haine. Une chanson, et tout est oublié. Un conte, un rêve, une mélodie des montagnes, et tout se dissipe en une vapeur dorée du milieu de laquelle l’essaim des fées bienveillantes sourit à l’homme au cœur léger.

Les collaborateurs de ce recueil ont un grand mérite : ils ne cherchent pas à mettre d’esprit dans ce qu’ils racontent. Un paysan leur dit la légende de son village ; ils la répètent sans y ajouter autre chose que l’orthographe et un peu d’ordre. Nous avons cependant un reproche à faire à M. Wolf. Le degré d’authenticité et le caractère des pièces ou des faits ne paraissent pas toujours suffisamment constatés. Il y a, par exemple, dans son recueil bon nombre de poésies fort gracieuses, intitulées chansons populaires et signées pourtant par des écrivains contemporains. Il est souvent impossible de distinguer si le signataire a emprunté son sujet à la tradition ou s’il l’a tiré de lui-même, s’il a composé les vers qu’il envoie ou s’il les a recueillis tels quels de la bouche du peuple. De même, beaucoup d’apparitions curieuses, qui ne remontent pas au-delà de quelques années, sont relatées pêle-mêle avec des histoires d’hommes changés en bêtes et de bêtes changées en hommes, sans que rien nous assure, je ne dis pas, bien entendu, de la réalité des visions, mais de l’existence et de la bonne foi des visionnaires. De tels faits sont d’un intérêt capital pour la psychologie. Il est fâcheux qu’on ne puisse dire quelle confiance ils méritent.


J.-J. WEISS.


V. DE MARS.