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Si les événemens qui s’accomplissent et qui passent dans la politique sont pour ainsi dire l’expression matérielle et palpable de la vie contemporaine, les œuvres littéraires en sont l’expression idéale. La littérature touche à tout dans ce monde ; elle va de la politique même aux choses les plus frivoles de l’imagination, de l’Académie au théâtre, de l’histoire au roman. Certes on ne peut dire que l’Académie française ne soit au premier rang dans cette vie littéraire. L’Académie est plus qu’un fait accidentel, elle est une institution, et même c’est l’institution la moins éphémère, parce que dans un pays comme la France elle représente ce qu’il y a de plus élevé et de plus durable, toutes les traditions de l’intelligence et du goût. L’Académie a cet avantage de ne point mourir, de revivre et de se renouveler sans cesse au contraire. Elle revit par ces élections qui viennent de temps à autre combler les places laissées vides, en donnant des successeurs à ceux qui s’en vont. Elle exerce un attrait naturel par ces réceptions où se presse d’habitude un monde élégant et lettré. Choix et réceptions, l’essentiel est qu’ils répondent à cet instinct délicat et infaillible de l’opinion, qui juge à son tour les jugemens de l’Institut lui-même. L’Académie recevait l’autre jour un de ses nouveaux élus, M. Ernest Legouvé, nommé pour succéder à M. Ancelot, et c’est un savant, M. Flourens, qui avait à répondre au récipiendaire. M. Legouvé, comme on l’a dit très exactement, n’a pu être élu ni comme politique, ni comme orateur, ni même comme un de ces hommes qui allient une certaine culture littéraire aux traditions d’un grand nom. A quel titre a— t-il donc été choisi ? Est-ce simplement pour l’éclat de ses productions ? Poète assez peu connu ce nous semble, conteur non sans talent, mais sans nouveauté, auteur en participation de plusieurs ouvrages dramatiques qui ont eu quelque succès sans avoir un véritable relief littéraire, moraliste d’une portée douteuse dans un livre sur les femmes, M. Legouvé n’a eu qu’à frapper aux portes de l’Académie pour être accueilli du premier coup comme un génie éminent qui s’impose, ou comme une médiocrité qui réussit à se concilier tous les suffrages. M. Flourens a bien pu lui dire avec quelque raison, en rappelant un mot de Fontenelle : Entrez, monsieur, « notre commerce vous sera utile. » M. Flourens, il faut l’avouer, a eu quelque peine à retrouver les productions de M. Legouvé et à leur donner un lustre suffisant. Le nouvel élu a-t-il du moins justifié par le discours qu’il avait à prononcer le choix dont il a été l’objet ? M. Legouvé a sans doute longuement parlé de son prédécesseur ; il a raconté la vie et les travaux de M. Ancelot, ses tentatives dans tous les genres, ses rivalités et ses déceptions ; il l’a montré faisant plus de quarante mille vers tragiques, épiques ou satiriques, pour aboutir à la notoriété éphémère d’un vaudevilliste. Par malheur, M. Legouvé ne s’est point arrêté là : il a voulu, lui aussi, professer en pleine Académie ses idées et ses doctrines, et c’est là qu’il est allé se heurter contre ce piège éternel des esprits qui ont plus de fantaisies vagues que de pensées justes. Pourquoi M Legouvé ne s’est-il point borné à tracer modestement la biographie de M. Ancelot ? Il eût évité de hasarder sur l’art dramatique des vues qui ont eu du moins le mérite de surprendre, de comparer la tragédie à un aérostat, et de faire dans le domaine de la critique littéraire et histoique des excursions qui l’ont conduit à des découvertes certes fort inatten-