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ses considérations une certaine ardeur méthodiste, une sorte de passion de secte : il n’est pas moins vrai, comme il le dit ici avec une grande justesse, que c’est une inspiration libérale qui a réuni la France et l’Angleterre, et que la même pensée doit faire durer leur union pour le maintien, la défense et les progrès de cette civilisation occidentale qu’elles représentent glorieusement. On a pu le remarquer, dans des questions secondaires, l’Angleterre et la France se querellent souvent ; dans les grandes questions, un lien naturel les rapproche, et si elles ne marchent point ensemble, le monde tout entier porte le poids de leurs divisions. Si l’alliance des deux nations eût existé depuis un siècle, il y a des attentats qui n’auraient jamais été commis en Europe ; les causes de la guerre actuelle n’auraient pas même pu se produire. Qu’on fixe un instant son regard sur les commencemens de ce siècle : s’il n’y avait point eu ce gigantesque, ce formidable duel entre la France impériale et l’Angleterre, Napoléon n’aurait pas laissé l’empereur Alexandre envahir et prendre la Finlande, la diplomatie anglaise ne fût point intervenue pour favoriser la paix de Bucharest, qui démembrait les principautés et rapprochait la Russie du Danube. L’alliance actuelle des deux peuples semble un amendement de leurs rivalités et de leurs fautes anciennes, et, ainsi que l’a dit l’empereur, la paix ne peut que mieux faire ressortir les avantages de cette communauté d’efforts et de politique.

C’est donc sous ces auspices que s’est inaugurée la session législative il y a quelques jours. Le corps législatif n’a point, il est vrai, à examiner cette situation dans ses élémens essentiels, dans ce qu’elle a de politique, et on comprend que ses travaux ne soient point de nature à balancer l’intérêt des délibérations du congrès. Les travaux des chambres françaises ont un caractère plus modeste, bien qu’ils se rattachent encore par certains côtés à la grande question qui s’agite. Parmi les projets que le gouvernement a présentés en effet dès l’ouverture de la session, il en est qui sont en quelque sorte une conséquence de la guerre ; d’autres servent à donner la mesure des ressources financières de la France. L’une des premières propositions soumises au corps législatif a pour but d’améliorer la situation des veuves des militaires tués sur le champ de bataille, et c’est là certes une pensée généreuse, qui ne peut même rencontrer de contestation. La pension de la veuve est élevée du quart à la moitié du maximum de la pension d’ancienneté affectée au grade dont le mari était titulaire. Quant à la situation financière de la France, elle se résume dans le budget de 1857, qui a déjà été présenté. D’après les calculs du gouvernement, les recettes devraient s’élever au chiffre de 1 710 474 512 francs, tandis que les dépenses seraient de 1 693 057 164 francs, ce qui constituerait un excédant de recettes de plus de 15 millions. Le progrès croissant des revenus publics autorise sans doute à beaucoup attendre des ressources de la France ; peut-être cependant y aurait-il à faire la part de l’imprévu. Dans ce budget normal, il ne faut point d’ailleurs comprendre les dépenses de la guerre, extraordinaires par leur nature et couvertes à l’aide de ressources extraordinaires. C’est une liquidation qui ne pourra se faire qu’à la paix, lorsque le bruit des armes, cessant tout à coup, laissera les peuples en face de leur situation réelle, de leurs dépenses et de leurs sacrifices.