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les ulémas, qui voient dans ces libérales mesures le dernier coup porté à l’islamisme par le chef des croyans lui-même. Le hatt-humayoun du sultan d’ailleurs ne touche pas seulement aux conditions des populations chrétiennes ; il consacre le droit de propriété en faveur des étrangers qui ne le possédaient pas ; il confirme l’égalité des contributions ; il décrète la substitution de la perception directe des impôts au système des fermes. Une dotation devra être affectée aux travaux d’utilité publique ; le budget sera publié chaque année, des institutions de crédit seront créées, et pour accomplir toutes ces œuvres, la Porte fera appel à l’esprit et à l’expérience de l’Europe. Comme on voit, c’est tout un ensemble de réformes qui dénote assurément des intentions excellentes. Que manque-t-il donc à ce vaste programme politique ? Il lui manque d’être une réalité, et pour l’appliquer, le gouvernement du sultan aura à assouplir ou à dompter bien des élémens rebelles. Il n’est point douteux que le salut de l’empire ottoman ne soit attaché à cette régénération morale et matérielle, à cette fusion des populations que décrète le dernier firman ; mais le difficile est d’amener cette fusion, de faire vivre ensemble, tout au moins en bon accord, des religions si différentes, des populations entre lesquelles rien n’est commun, ni l’organisation de la famille, ni les rapports sociaux, ni les mœurs, ni les habitudes, ni même les jours du repos et la manière de compter le temps. Il est facile de voir l’immensité du problème qui se pose aujourd’hui en Orient. Ce n’est rien moins que la transformation d’une société tout entière. Quoi qu’il en soit, l’Europe a trouvé le chemin de l’empire turc, et lors même que ses armées ne seront plus en Orient, ses lumières, son intelligence, ses capitaux, ses représentans y seront pour garantir, stimuler et féconder cette réforme, dont il dépend des populations chrétiennes de s’approprier les bienfaits en s’élevant à la hauteur de leur nouveau rôle. Pour elles, le résultat de la guerre, c’est l’émancipation, et dans cette émancipation peut se trouver le secret de la régénération d’un empire oriental.

Un fait aujourd’hui semble indiquer la marche des travaux de ce congrès, où se traitent tant de grandes et décisives questions. La Prusse, jusqu’ici étrangère à toute délibération, vient d’être appelée aux conférences, où elle sera représentée par le président du conseil lui-même, M. de Manteuffel, et par M. le comte de Hatzfeld, ministre du roi Frédéric-Guillaume IV à Paris, Mais dans quelle mesure et à quel titre la Prusse va-t-elle participer aux négociations ? La note officielle publiée à ce sujet semble l’indiquer : c’est comme signataire du traité du 13 juillet 1841 que la Prusse est invitée à se faire représenter, c’est-à-dire sans doute qu’elle est appelée particulièrement à concourir aux modifications dont ce traité sera l’objet. Voilà donc où aboutit la Prusse, même dans ses succès, même dans une circonstance où le vœu secret de son gouvernement peut paraître accompli. Elle réussit à se faire, si l’on nous passe ce terme, une puissance incidente en Europe. Elle entre dans la négociation des grandes affaires du monde, non par l’autorité de sa politique, mais parce qu’elle se trouve avoir signé un acte abrogé aujourd’hui par la force des choses et par la volonté des alliés. Jusqu’à quel point, cette tardive et peu significative intervention du cabinet de Berlin est-elle de nature à satisfaire le légitime orgueil du peuple prussien ?