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dres : l’acte qu’on était parvenu à exagérer si étrangement, — le seul qui ait été divulgué jusqu’ici avec l’armistice, — c’était l’homologation par le congrès de Paris du protocole qui résumait les conditions acceptées par la Russie, et qui a été d’abord signé à Vienne dès les premiers jours de février ; c’était la transformation de ce protocole en préliminaires de paix. Il y avait un traité si l’on veut ; seulement ce traité préliminaire ne résolvait rien encore, laissait intactes toutes les questions d’où peuvent naître des difficultés, et tandis que lord Palmerston, dans le parlement anglais, réduisait le fait à ses proportions véritables, le chef de l’état en France ne le mentionnait même pas dans son discours à l’inauguration de la session législative, qui avait lieu aux Tuileries trois jours après. Encore une fois il fallait revenir à la réalité.

Au milieu des conjonctures actuelles, le discours de l’empereur à l’ouverture des chambres prenait évidemment une importance particulière. S’il n’a pu faire cesser pour l’instant aucune incertitude, s’il a laissé indécis le problème redoutable de la paix et de la guerre, il a du moins caractérisé l’état présent des choses en quelques traits précis, honorant l’empereur de Russie pour l’opiniâtreté de sa résistance et pour l’esprit de conciliation qu’il a semblé montrer plus tard, indiquant la part de l’Autriche, relevant la politique virile du Piémont, marquant la place de la Suède dans ce grand débat, et mettant au-dessus de tout l’alliance de la France et de l’Angleterre, — alliance formée pour la guerre, maintenue dans les négociations, et faite pour se resserrer encore dans la paix, si la paix se conclut. On pourrait dire que le discours de l’empereur est une profession de foi nouvelle, une déclaration de plus en faveur de l’alliance de la France et de l’Angleterre ; c’est là son importance. Au moment où le chef de l’état parlait ainsi, le congrès s’ouvrait à peine. Depuis ce jour, les conférences ont continué ; elles ont dû toucher à quelques-unes des questions les plus épineuses, et, sans prétendre pénétrer ce grand secret, il est bien clair du moins que les négociations n’ont point rencontré jusqu’ici quelqu’une de ces impossibilités qui rendent désormais tout effort inutile. Or, dans une telle situation, le chemin qu’on ne fait pas vers une rupture, on le fait manifestement vers la paix. Quel que soit le mystère qui plane encore sur les détails des conférences, c’est là l’impression générale, et cette impression n’est point étrangère peut-être à cette patience presque confiante avec laquelle l’esprit public attend la fin du congrès.

Qu’on observe exactement les conditions dans lesquelles se poursuit ce travail diplomatique. L’an dernier, lorsqu’on négociait à Vienne, on délibérait un peu les armes à la main, comme les nobles polonais autrefois dans leurs diètes, ce qui n’était guère un gage de paix. A travers la discussion publique et officielle des conférences, il y avait entre la Russie et les puissances occidentales une sorte de dialogue muet, qui ne laissait pas d’être fort expressif, La Russie semblait dire : Sébastopol n’est point réduit, il est resté debout devant vos forces coalisées ; vous n’avez pas le droit de demander à la diplomatie ce que vos armes n’ont pu conquérir. — Les puissances occidentales disaient à peu près à leur tour : Sébastopol tombera, il doit tomber ; c’est pour nous désormais un des prix de la lutte. — Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. La vigoureuse défense de l’armée russe a désintéressé l’honneur militaire du tsar ; la chute de Sébastopol a désintéressé l’honneur de nos armes. Il reste une ques-