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national, — sa modération et sa véracité, sa ferme perception de la réalité, son respect pour la loi et pour le droit, sa ténacité historique, son aversion pour la politique a priori et pour les révolutions qui n’ont d’autre origine que des données spéculatives. »

S’ils sont peu portés à l’abstraction, les Anglais ne le sont pas plus à la logique, et ils savent que la logique, poussée à l’excès, mène droit à l’absurde. C’est pourquoi nous voyons les lords traiter fort légèrement l’argument de légalité dont se couvraient les conseillers de la couronne. Quand même cet usage extraordinaire de la prérogative royale eût été strictement légal, cela ne faisait pas qu’il fût sensé ou raisonnable. Toutes les prérogatives, tous les privilèges, tous les droits, ne se conservent que par la discrétion, et quand on veut en forcer les ressorts, on les brise. La couronne a le droit de veto sur toutes les lois votées par les chambres; légalement, elle peut en user autant qu’elle voudra, et cependant il n’y a pas d’exemple qu’elle en ait usé. La chambre des lords peut rejeter toutes les lois que lui envoie la chambre des communes, sa mission est même de contrôler et de tempérer l’autre branche de la législature; cependant il y a peu d’exemples qu’elle use de son droit, et elle n’en use que quand elle se sent suffisamment soutenue par l’opinion. Lors du bill de réforme, quand elle a vu qu’une plus longue résistance était dangereuse, elle a cédé, et ceux des pairs qui n’ont pas voulu céder se sont absentés. Dans ces derniers temps, nous ne connaissons que le bill d’émancipation des Juifs que les lords aient refusé aux communes, et ils l’ont rejeté parce qu’ils savaient bien que l’opinion populaire n’en serait pas violemment émue.

Tout pouvoir peut donc faire des actes très légaux et en même temps très déraisonnables. Il n’y a pas de loi qui empêche la couronne de spéculer sur les fonds publics, et le roi ou la reine de jouer à la Bourse. La reine d’Angleterre, au lieu de créer un pair à vie, pouvait créer d’un coup cent pairs héréditaires. Elle aurait pu faire une révolution, mais elle n’en aurait pas moins été dans son droit légal. Comme le disait encore lord Lyndhurst, la reine peut donner la pairie à tout un régiment des gardes, elle peut aussi nommer lord chancelier, c’est-à-dire chef de la justice, un de ses chambellans; ce sera conforme à la loi et contraire à la constitution.

La lutte de prérogatives était, comme on le voit, résolument engagée, et ce premier débat se termina par la défaite du gouvernement. La motion de lord Lyndhurst, qui avait pour objet de faire examiner les titres par la chambre constituée en comité de privilèges, fut adoptée à une majorité de trente-trois voix.

Le gouvernement crut que les lords allaient se trouver embarrassés de leur victoire, et qu’ils n’oseraient pas la poursuivre; mais il avait affaire à d’anciens avocats, à des légistes tenaces qui n’étaient pas disposés à rester en chemin. Quand la discussion fut reprise, il se passa dans la chambre une scène assez comique. Le comité fit comparaître devant lui le gardien des