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II.


Louis Quinze agitait ses pincettes d’acier,
Mais le front impassible, avec son air princier.
Lorsqu’un des esprits forts, en jabot de dentelle,
S’écria : « Maréchal, vous nous la donnez belle !
Moi qui ne crois à rien, croirai-je aux revenans!
— Ah ! vous croyez en Dieu?... Soupçons inconvenans,
Mon cher duc! Eh bien! Dieu, pour qui rien n’est merveilles,
Peut dessiller nos yeux, entr’ouvrir nos oreilles.
Sa main à qui lui plaît dévoile l’avenir.
Une âme vint au monde, elle y peut revenir...
Mais un signe du roi m’ordonne de poursuivre.
Voici ce que mes yeux ont vu : je vous le livre.

III.


Vers le premier de juin, reprit le maréchal,
Madame de Ker-Lan, fille de l’amiral.
Arriva dans ma terre en galans équipages.
Hervé, son jeune fils, est la fleur de vos pages;
Tous deux vous sont connus : on ne voit pas souvent
Et mère plus aimable et plus aimable enfant.
Elle entre douce et fière, elle parle, on s’étonne :
Quelle Parisienne égalait la Bretonne?
Seul, un plus ferme accent annonçait le pays,
Mais c’était une grâce encor; son goût exquis
Y mettait la mesure, une fraîcheur vitale.
Et lorsqu’elle chantait dans sa langue natale.
Sous nos cheveux poudrés, nos habits de velours.
Plus forts, nous devenions Celtes des anciens jours.
Tel passa mon été près de l’enchanteresse.
Un père pour sa fille aurait moins de tendresse.
Le dernier mois, assis tous deux dans son boudoir,
Où la persienne ouverte envoyait l’air du soir.
Le chant du rossignol et le parfum des roses,
Vers minuit nous causions en paix de mille choses,
Et surtout de son fils loin d’elle grandissant.
Quand un cri dans sa gorge éclate, aigu, perçant;
Une pâleur de morte a recouvert sa face;
Tous ses membres tremblaient : « Regardez dans la glace!
Un cierge est à mes pieds, entendez-vous le glas?
Couverte d’un drap blanc ne me voyez-vous pas?