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la plus haute de saint Augustin, nous dirions même son chef-d’œuvre, s’il n’avait écrit les Confessions.

Ce livre, si célèbre dans la tradition chrétienne et trop peu lu aujourd’hui, vient d’être donné de nouveau à la littérature philosophique et religieuse par M. Émile Saisset. Le traducteur avait à lutter contre les difficultés d’un texte original et barbare, où la subtilité s’unit à la naïveté, la déclamation à l’énergie, le mauvais goût à l’éloquence : il a surmonté ces difficultés avec bonheur, et dans une langue à la fois noble, élégante et précise il a su faire passer toutes les beautés de l’auteur original et adoucir ses défauts, sans jamais abandonner la plus scrupuleuse exactitude. Ainsi comprise, la traduction est une véritable œuvre d’art. C’était l’avis du XVIIe siècle, et ce serait encore le nôtre, si nous n’avions perdu le sentiment des beautés et des finesses de la langue. La traduction est à l’invention ce que la gravure est à la peinture: art inférieur, c’est encore un art, où l’artiste peut déployer les plus grandes qualités, et, forcé quelquefois de sacrifier la couleur, se relever par la fermeté du dessin.

Dans son introduction, M. Saisset a démêlé avec beaucoup de sagacité les origines philosophiques du christianisme de saint Augustin et les affinités des doctrines platonicienne et chrétienne. Il est beau de voir la science philosophique s’appliquer à l’interprétation des grands monumens religieux, et y porter cette critique impartiale et élevée qui est l’honneur de notre temps. Ce n’est point là d’ailleurs une de ces tentatives banales de réconciliation entre la philosophie et la religion, qui consistent à cacher maladroitement le drapeau de l’une et de l’autre : c’est une noble et intelligente recherche de leurs principes communs, à cette hauteur où il n’y a plus ni écoles, ni sectes, ni systèmes, mais la grande et universelle philosophie du genre humain.

Notre dessein n’est pas de revenir ici sur des questions que le nouvel interprète de saint Augustin nous semble avoir épuisées ; mais, en relisant la Cité de Dieu, ce grand monument de l’antiquité chrétienne, nous avons cru démêler sous la forme théologique et surannée une question éternelle et toujours pendante, qui fait aussi bien le fond de la philosophie que de la théologie, un de ces problèmes universels qui ne cesseront jamais d’intéresser et d’inquiéter l’humanité. La distinction des deux cités, de la cité du ciel et de la cité de la terre, n’est pas seulement une idée curieuse à noter dans l’histoire de l’esprit humain : elle nous donne la clé de l’histoire du moyen âge et de celle des temps modernes ; elle est la question même qui s’agite sourdement au fond de toutes nos révolutions. Elle a encore aujourd’hui une place considérable dans la spéculation philosophique, et récemment un écrivain distingué, sans avoir songé, selon toute apparence, aux deux cités de saint Augustin, trouvait