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sérieuse de la sincérité de la Russie, et qui nous persuade que nos adversaires traitent aujourd’hui avec nous sans arrière-pensée. Cette raison, c’est que l’honneur de l’armée russe est sorti intact de cette guerre, où elle n’a cependant d’autre succès à enregistrer que la capitulation de la ville de Kars. L’histoire fera certes une belle part à cette brillante noblesse russe qui s’est sacrifiée avec un dévouement si patriotique pour la défense de Sébastopol, à cette armée qui pendant onze mois nous a disputé le terrain pied à pied avec une opiniâtreté et un talent qui mettent au défi les annales des sièges les plus célèbres, ceux de Numance, de Rhodes, de Malte, de Saragosse, et c’est à cause de cela même que la gloire des vainqueurs de Sébastopol doit jeter un si grand éclat dans le monde. Les étrangers, les Allemands surtout, qui ont écrit sur ce sujet ne tiennent peut-être pas un compte assez juste des difficultés qui ont pesé sur les alliés par suite de la distance à laquelle ils agissaient, et de l’indépendance des commandemens exercés par les généraux de chaque nation. Quoi qu’il en soit, un des officiers qui se sont acquis le plus de distinction dans cette guerre, c’est sans contredit le général Todleben, Il est vrai que les circonstances lui ont été singulièrement favorables dans les premiers jours du siège. En présence d’une armée qui n’avait pas encore débarqué une seule pièce de gros calibre, il disposait, pour organiser la défense, de troupes plus nombreuses et d’un matériel plus considérable qu’il ne s’en est encore trouvé dans aucune place de guerre. Ce qu’il faut reconnaître aussi cependant, c’est qu’il a donné des preuves merveilleuses d’initiative, de savoir et d’activité. Peut-être, lorsque des juges compétens écriront l’histoire de cette lutte héroïque, trouvera-t-on à critiquer quelques-uns des ouvrages du général Todleben et le luxe de travail qu’il y a quelquefois déployé. A coup sûr, on ne pourra s’empêcher d’admirer la rapidité avec laquelle il conçut le plan de défense d’une ville à peu près ouverte, la rapidité avec laquelle il l’a exécuté, et l’abondance des moyens par lesquels il l’a augmenté et maintenu. Dans la guerre souterraine, il a médiocrement réussi; mais les embuscades qu’il avait disposées en avant des points d’attaque, les logemens qu’il avait organisés dans ses principaux ouvrages, passent pour des chefs-d’œuvre aux yeux des gens de l’art. Malgré l’opinion que nous avions de notre supériorité dans les armes savantes, il nous a prouvé que les officiers du génie militaire en Russie n’ont à redouter la comparaison avec aucun de leurs rivaux en Europe.

L’artillerie russe s’est également acquis une réputation que l’on était bien loin de prévoir au début de la guerre. Ce n’est pas seulement la justesse de son tir qui s’est fait remarquer, c’est aussi l’activité et la bonne exécution de ses travaux, l’excellence presque recherchée de son matériel, la rapidité de ses mouvemens, la facilité