D’ailleurs la Turquie n’a pas malheureusement pour elle le droit de se montrer exigeante. Ce n’est pas seulement l’état critique de ses affaires intérieures qui lui fait une loi d’être modérée, c’est aussi la faiblesse du rôle qu’elle a joué dans la guerre. Le prestige acquis à ses armes dans la première campagne, lorsque seule encore elle résistait à la Russie, a aujourd’hui singulièrement pâli. L’honneur qu’elle s’était fait à Oltenitza, à Citate, à Silistrie, elle ne l’a pas soutenu en Crimée, et, sauf la stérile victoire de l’Ingour, elle n’a continué à éprouver en Asie que des revers, toujours produits par les mêmes causes : l’incapacité de ses généraux et la rapacité de la plupart de ses administrateurs. En Crimée, Omer-Pacha n’a plus été ce qu’il était sur le Danube, il semble n’avoir pu s’entendre avec les généraux alliés. A Constantinople, il n’a pas cessé d’être en querelle réglée avec le divan, et la fâcheuse situation qu’il s’est ainsi faite a eu pour résultat d’enlever à ses soldats l’avantage de figurer dans aucune des grandes affaires qui ont été livrées sous les murs de Sébastopol. C’est à Eupatoria seulement que les troupes ottomanes, représentées surtout par le contingent égyptien, ont pris part aux escarmouches, aux combats d’avant-garde, aux reconnaissances qui ont été tout le travail de la campagne. Dans ces engagemens secondaires, les soldats musulmans semblent s’être bien conduits, et le témoignage des généraux français leur est pleinement favorable; mais cela n’était pas suffisant pour donner à l’armée du sultan l’égalité parmi les puissances belligérantes. En Asie, le rôle des Ottomans a été moins brillant encore. Lorsqu’après s’être retiré de Crimée trop tôt pour prendre part à l’assaut de Malakof et trop tard pour sauver Kars, Omer-Pacha entre enfin dans la Mingrélie, il est très difficile de découvrir le but qu’il se proposait en partant de Soukoum-Kalé, et en tout cas il ne fait qu’une vaine démonstration; Kars n’est pas moins obligé de capituler. Le siège de cette ville, située à huit ou dix lieues de la frontière russe, sur le plateau de l’Arménie, à quelque mille pieds au-dessus du niveau de la mer, est le fait principal de la campagne de 1855 en Asie. Tous ceux qui y ont figuré, soit dans l’attaque, soit dans la défense, ont acquis une gloire réelle; mais les causes qui ont réduit son héroïque garnison peuvent être imputées à juste tire au gouvernement ottoman, à sa faiblesse, à sa mauvaise administration, à l’immoralité de la plupart des hommes qu’il a employés. C’est la troisième fois depuis le commencement de la guerre qu’une armée turque périt ou se disperse par la faute de ceux qui étaient chargés de la conduire ou de lui donner du pain, tantôt les uns, tantôt les autres. Ici les officiers qui défendaient la place ont fait tout ce qu’on pouvait attendre d’hommes braves et intelligens, mais c’étaient des officiers anglais, et l’on ne sait ce qu’on doit le plus admirer, ou de la généreuse abnégation qui porta le général
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