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la liberté, c’est-à-dire avec ce qui est la vie même de l’Angleterre, ce qui fait sa grandeur et sa force morale, bien autrement puissante que toutes les baïonnettes et tous les canons. Égarée par une vaine idée de gloire, si jamais l’Angleterre introduisait chez elle la conscription, ou copiait les institutions qui servent de base aux établissemens militaires des peuples du continent, elle aurait lâché la proie pour l’ombre, elle aurait renoncé à son principe vital. Samson aurait livré sa chevelure aux ciseaux de Dalila.

Ce qui est vrai, c’est que jamais, après deux années de guerre, elle n’a possédé une armée aussi nombreuse, aussi instruite, aussi bien administrée et équipée que celle que commande aujourd’hui sir William Codrington; c’est que jamais à aucune époque la marine de l’Angleterre, son arme véritable, la garantie de son indépendance et de sa sécurité, n’a donné des preuves de puissance comparables à celles qu’elle a fournies depuis deux ans. Les arsenaux de l’état et les chantiers de l’industrie privée ont fait, les uns aidant les autres, des prodiges que l’industrie et les marines coalisées du reste du monde n’auraient pu égaler. Qu’on se rappelle la rapidité merveilleuse avec laquelle l’Angleterre a lancé sur les flots, au printemps de 1854, l’armée navale que commandait sir Charles Napier. C’est, je le confesse, avec un étonnement jaloux que je vois chaque semaine dans les correspondances des ports que publient les journaux de Londres apparaître les noms d’un ou même de plusieurs navires qui étaient à peine commencés il y a quelques mois, il y a quelques jours, et que l’on nous annonce comme complètement armés, ready for sea. De cette activité extraordinaire il résultera que si malheureusement la guerre devait continuer, les flottes anglaises de la Baltique et de la Mer-Noire commenceraient cette année les opérations militaires avec quatre cent cinquante navires à vapeur battant flamme et déroulant fièrement à la brise le pavillon de guerre de leur pays, et cela sans compter encore une centaine de bâtimens répandus sur les autres mers du globe, non plus que cent cinquante ou deux cents transports choisis parmi les plus beaux navires de la flotte commerciale et consacrés exclusivement au service de l’armée. Tels sont les chiffres cités par sir Charles Wood, premier lord de l’amirauté, lorsqu’il exposait le 11 janvier dernier à la chambre des communes le budget de son département. C’est sans comparaison le plus formidable armement qui ait jamais paru sur les mers, et pour le mettre en action, il portera soixante-seize mille hommes, presque autant que l’Angleterre en a entretenu sur ses flottes, même lorsqu’elle faisait la guerre à des ennemis qui ne se dérobaient pas et qui combattaient par mer. Ce qu’il faut surtout remarquer, c’est que ce nombreux personnel est uniquement composé de volontaires, et qu’on n’a dû