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même dire que le gouvernement a failli se laisser aller jusqu’à une prodigalité dangereuse pour les troupes et pour la discipline; mais pour en arriver là, combien en a-t-il coûté d’existences précieuses! D’ailleurs les habitudes que les soldats anglais avaient nécessairement prises dans le service auquel ils étaient employés devaient aggraver encore les difficultés de la situation au début d’une guerre dirigée contre une puissance européenne. C’est pendant dix ou douze ans, pendant quinze ans même, que leurs régimens, recrutés exclusivement par enrôlement volontaire, vont tenir garnison dans les colonies, sans remettre le pied dans la métropole. Or, pour rendre un si long exil supportable, pour ne pas faire de ses soldats les parias de la société, pour ne pas compromettre la chance d’en trouver, le gouvernement a dû leur concéder la faculté de se marier et par suite d’emmener partout avec eux et à ses frais leurs femmes et leurs enfans. En conséquence tous les sous-officiers, qui sont nombreux dans l’organisation militaire des Anglais, et dix hommes par compagnie, ont reçu l’autorisation de se marier. Il en résulte inévitablement que cette multitude de femmes fait la cuisine, la lessive, et raccommode les effets des hommes, qui restent complètement étrangers à ces soins domestiques. Rien n’est élégant et pimpant comme le soldat anglais dans sa garnison; il étale un luxe de propreté, de blancheur, de fraîcheur de linge et de tenue qui fait plaisir à voir; mais c’est un régime peu militaire, dans le sens français du mot. A Gallipoli, où les alliés se rencontrèrent pour la première fois, les Anglais avaient peine à tenir leur sérieux en voyant nos soldats manier l’aiguille, recoudre un bouton, mettre une pièce à une culotte; ils n’étaient pas encore à Varna, que déjà ils enviaient leur savoir-faire de tailleurs, comme ils ont envié plus tard leurs talens culinaires. Il y a plus, c’est que, le plus grand nombre des garnisons anglaises étant situées dans les pays intertropicaux, dans des régions où la santé des Européens ne se conserve qu’au prix des plus grands soins, surtout en évitant toute espèce de fatigue, le soldat anglais est déshabitué de tout travail, de toute corvée qu’on peut lui épargner. Il a des domestiques, et il ne faut pas en rire. On n’a pas le choix sous ces climats dévorans, et si l’on veut y avoir au jour du combat des troupes vaillantes, il faut tous les autres jours les couvrir d’un réseau de précautions infinies, les dérober même aux rayons du soleil. Sous les murs de Canton en 1841, à la prise de Chin-kiang-fou en 1842, dans les plaines de Chilianwallah en 1850, le nombre des soldats anglais morts de coups de soleil entrait dans le chiffre des pertes pour une proportion considérable. Ne fût-ce qu’à cause du soleil seulement, il est indispensable que le soldat d’origine européenne soit servi dans ces contrées, si l’on veut pouvoir compter sur lui à l’heure du danger. Les Anglais se sont