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la pratique la plus douce et la plus facile qui gouverne aucune armée du monde. C’est chez nous assurément qu’il y a le moins d’hommes punis. On peut, jusqu’à un certain point, faire honneur de cet heureux état de choses au caractère national; mais, pour être juste, il faut l’attribuer surtout aux conséquences que doivent naturellement produire d’excellens règlemens sur le service, et des lois meilleures encore sur l’avancement dans l’armée et sur l’état des officiers. Ces lois et ces règlemens semblent avoir mis chacun à sa place, défini pour tous, dans toutes les positions, la sphère et la limite de leurs devoirs, ouvert convenablement la carrière à toutes les ambitions légitimes, créé enfin une situation où chacun se meut à l’aise et trouve des garanties pour ses droits. Il faut bien que ces lois soient bonnes pour qu’elles aient survécu à ceux qui les ont faites, pour que la France ait pu passer de la monarchie à la république, et de la république à l’empire, sans que personne ait songé à les modifier. Et une preuve plus frappante encore de leur mérite, c’est peut-être ce fait, qu’à travers nos révolutions, aux époques les plus critiques, dans les temps les plus funestes de 1848, alors qu’il semblait que tout principe d’autorité était perdu, la discipline de l’armée n’a jamais souffert essentiellement, la vie de la grande famille militaire s’est conservée intacte dans le milieu le plus corrupteur. Sans doute les institutions, même les meilleures, valent en raison du mérite des hommes qui sont chargés de les appliquer; mais ce qui n’est pas moins vrai, c’est que les hommes, même les plus méritans, ne peuvent pas faire vivre des institutions mauvaises, ne peuvent pas surtout leur faire produire de bons fruits.

La légitime fierté que tant de glorieux succès ont inspirée à la France, l’entière satisfaction qu’elle en ressent et qu’elle témoigne si ouvertement, ne doivent laisser aucun doute sur la sincérité des sentimens qu’elle apportera dans la négociation de la paix. Pour elle, le but de la guerre est atteint, le programme qu’elle s’était tracé dans les instrumens diplomatiques ou dans les traités qu’elle a signés en dénonçant les hostilités, ce programme est complètement rempli. La Russie est arrêtée pour longtemps dans sa marche sur Constantinople, l’intégrité du territoire ottoman et l’émancipation des chrétiens du Levant sont assurées : que reste-t-il à faire encore, lorsqu’en tirant l’épée du fourreau on a pris l’engagement solennel de ne demander à la victoire ni augmentation de territoire, ni avantage politique particulier, ni traité de commerce, ni rien de ce qui aurait pu donner à la guerre l’apparence d’une entreprise poursuivie en vue d’un intérêt personnel? D’ailleurs il serait injuste de méconnaître que, dans les conditions où elle se fait, la paix apporte à la France des bénéfices certains. C’est quelque chose, quoi qu’on dise, d’avoir anéanti la marine russe de la Mer-Noire, d’avoir détruit les