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l’achat de 45 millions d’or en Angleterre. La banque de Londres, assaillie de difficultés semblables, était incapable de venir à son secours. Ce fut l’empereur de Russie qui la tira d’affaire. Il lui proposa l’échange de 50 millions à prendre à Pétersbourg contre 2 millions de rentes françaises. La France était à cette époque débitrice de la Russie, et la Banque n’eut pas à transporter un seul lingot hors de Saint-Pétersbourg; elle prit des traites sur Marseille et sur Paris. Sans déplacer une once d’or ou d’argent, cette opération produisit le résultat désiré, car elle prévint la sortie d’une somme de numéraire égale à celle que la Russie s’engageait à verser à la Banque.

On voit par ces exemples qu’il ne serait pas impossible, si chaque nation commerçante était représentée par des établissemens de crédit aussi puissans et aussi solides que les Banques de France et d’Angleterre, de parer, sans en faire ressentir le contre-coup au crédit, aux grands déplacemens de métaux précieux occasionnés par un accident limité comme une mauvaise récolte. L’exportation des matières d’or et d’argent est un moyen extrême de balancer les comptes entre nations commerçantes; cette exportation ne serait pas nécessaire, si les achats faits à l’étranger pouvaient être payés en lettres de change. Les lettres de change manquant, on expédie du numéraire; mais ce numéraire est inévitablement rendu, au bout d’un certain temps, par les pays mêmes où on l’envoie. Pour éviter ces déplacemens inutiles et si embarrassans d’espèces, toute la question serait donc de pouvoir gagner du temps. Un concert entre les grands établissemens de crédit qui représenteraient les nations commerçantes rendrait cet atermoiement facile. Ces établissemens, avec la coopération de grandes maisons de banque, pourraient favoriser la création de valeurs de circulation sur les pays qu’on ne peut plus payer immédiatement avec les lettres de change fournies par les opérations réelles du commerce, et qui réclament du numéraire; ces valeurs de circulation s’éteindraient d’elles-mêmes au moment où les pays créanciers deviendraient débiteurs à leur tour. En s’assurant mutuellement l’escompte de ce papier émis par des banquiers pour faire face à des besoins accidentels et passagers, et en supportant les pertes inévitables de change, les banques s’épargneraient les inquiétudes que leur donne l’épuisement de leurs réserves, les frais et les embarras des acquisitions et des transports d’espèces, et les contractions de crédit que ces perturbations font subir au commerce. Il n’y a pas, nous le croyons, de témérité à prévoir et à espérer que le progrès des institutions financières chez les peuples commerçans permettra un jour de prévenir, par une combinaison semblable, les crises monétaires résultant des accidens du commerce international, aussi facilement et aussi complètement que les