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arrivera l’échéance il peut n’être point payé. En livrant contre un effet son capital disponible, l’escompteur s’impose la privation de ce capital jusqu’à l’échéance de l’effet, et s’expose même au péril de le perdre, si l’effet n’est point payé. Il peut, ou refuser de s’imposer cette privation et de courir ce risque, c’est-à-dire refuser le crédit, ou, par le taux de l’escompte qu’il prélève, faire payer chèrement cette privation momentanée et ce risque. Aussi, tant que le service du crédit commercial fut uniquement livré à l’action individuelle des détenteurs de capital disponible, il dut rester soumis à des incertitudes compromettantes, à des restrictions arbitraires et à des conditions onéreuses.

Le service du crédit fit un grand progrès lorsqu’il devint l’objet d’une profession spéciale, celle des banquiers. Les banquiers furent les intermédiaires naturels entre les producteurs qui avaient à acheter du crédit et les détenteurs de capital disponible qui avaient à en vendre. C’était chez les banquiers que les industriels et ceux qui se livrent à l’échange et au transport des produits, les négocians, allaient porter leurs billets à ordre et leurs lettres de change; c’était aussi chez les banquiers que les capitalistes allaient porter leurs fonds disponibles, soit en dépôt et en compte courant, soit pour en prendre la contre-valeur en effets de commerce qu’ils gardaient jusqu’à l’échéance dans leurs portefeuilles. Avec la seule ressource de son capital, le banquier n’eût donné qu’un secours insignifiant au commerce, car son capital eût été promptement absorbé et immobilisé par les escomptes; mais le banquier avait derrière lui sa clientèle de disposeurs, comme on les appelait, c’est-à-dire de capitalistes ayant des fonds disponibles et désireux de les faire fructifier dans des placemens à court terme. Il réescomptait à ces disposeurs les effets qu’il avait escomptés lui-même aux commerçans, et à chaque opération de ce genre il dégageait son propre capital et pouvait l’employer à de nouveaux escomptes. Le jeu naturel de ces divers intérêts commençait sans doute à centraliser les ressources du crédit et à en étendre l’action; cependant il ne se prêtait pas encore avec assez de régularité, d’élasticité et de certitude au développement de la production et des échanges. L’industriel et le commerçant étaient en définitive à la merci du banquier, lequel était à la merci du disposeur, et celui-ci restait maître du crédit et pouvait l’étendre ou l’étrangler suivant la direction que son intérêt ou son caprice donnait à ses capitaux. L’insuffisance et le défaut de la dispensation du crédit, réduit à cette organisation, tenaient à sa base : ayant pour base les ressources et les opérations individuelles des détenteurs d’argent, il restait soumis aux limites, aux variations et aux vicissitudes des situations, des intérêts et des calculs individuels.