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musulmane, qu’elle n’a pas été marquée du sceau de la conquête, que l’autonomie, la souveraineté lui a été réservée ? Comment Allah serait-il devenu le propriétaire, le possesseur de ces contrées, et comment aurait-il stipulé que le culte d’Allah y serait à jamais proscrit ? Ce serait le renversement de tout ce que l’on sait de l’islamisme.

S’il a été convenu que la religion du prophète n’aurait pas un seul minaret dans les provinces, c’est que cette terre est restée propriété inaliénable des chrétiens, qu’elle n’a jamais été confondue avec le domaine de l’islam. Et dans un temps où les Turcs foulaient aux pieds toutes les conventions, vous admirerez certainement la bonne foi avec laquelle ils ont respecté ce qui était fondé sur le droit religieux, puisqu’il est constant qu’ils n’ont jamais fait aucun effort pour l’enfreindre ; pas même un marabout n’a été élevé dans les quatre provinces danubiennes : premier point certain, ils ne tiennent pas la terre à titre de conquête.

En partant du même principe, voyez-en découler une autre conséquence à laquelle ils ont été tout aussi fidèles qu’à la première. La terre roumaine étant restée terre chrétienne, il s’ensuivait juridiquement qu’aucun musulman ne pouvait y être propriétaire, y posséder un champ, une maison ou même y habiter, et c’est ce qui a été observé aussi depuis trois siècles avec une fidélité que la convention la plus formelle n’eût jamais obtenue, si la religion n’eût retenu ceux qui se jouaient de tout le reste ; car les provinces danubiennes purent bien devenir un objet de déprédation pour les musulmans, mais les musulmans ne mirent pas eux-mêmes la main à ces déprédations : ils chargèrent les chrétiens de dépouiller les chrétiens. Pour eux, se tenant à l’écart, ils firent tout ce que la religion leur permettait ; ils ne firent rien de ce qu’elle leur interdisait formellement.

Ainsi la Moldo-Valachie a pour preuve de son autonomie, de sa souveraineté, le titre le plus infaillible qui puisse se rencontrer parmi les hommes, le droit religieux des vainqueurs eux-mêmes. Un traité peut être déchiré et disparaître ; les diplomates, à force d’arguties, peuvent le contester, les érudits le réduire à néant. Ici, c’est une religion qui depuis trois siècles, sans un jour d’interruption, porte témoignage ; c’est une religion qui dépose devant le monde entier, et, comme dans toutes les affaires marquées de ce grand sceau, il ne se trouve ici matière à aucune chicane. De ce côté de l’eau est la terre d’Allah, de cet autre la terre du Christ. Nulle confusion entre eux, nulle ambiguïté ; la même borne a été posée par des dieux différens. Ici, les musulmans possèdent la terre, ils la cultivent, ils l’acquièrent, ils la vendent parce qu’ils la tiennent d’Allah, qui en est devenu le maître, le dispensateur, et qui en reste le seigneur ;