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constituent des valeurs considérables et une portion énorme de la richesse générale. Ainsi le capital d’actions des chemins de fer actuellement exploités ou en construction en France forme, au taux d’émission, une somme de plus de 1,600 millions. Cette valeur du capital d’émission s’est singulièrement accrue par la vertu des conditions auxquelles les concessions ont été accordées, et grâce aux combinaisons financières auxquelles ces conditions ont servi de base. Jusqu’à ce jour, il a été concédé environ 11,000 kilomètres de chemins de fer, dont la moitié seulement est déjà exploitée. Or, d’après les dernières cotes de la Bourse, on peut évaluer en moyenne à 500 francs la plus-value gagnée par les actions de chemins de fer sur leurs prix d’émission, ce qui porte la valeur actuelle de ces actions à plus de 3 milliards. Les chemins de fer ont absorbé en outre plus d’un milliard par la voie de l’emprunt et sous forme d’obligations. Ajoutez à ces sommes le capital des grandes institutions de crédit et des autres sociétés puissantes, et vous arriverez sans exagération au chiffre de 6 milliards comme représentant la valeur actuelle des capitaux engagés en France sous le régime de la société anonyme. Telle est déjà la somme qui représente, outre l’apport des intérêts particuliers dans l’organisation des entreprises réclamées par le développement de notre industrie, le prix dont ce concours a été payé. Il y a là, on le voit, une masse d’intérêts qui doit aller sans cesse grossissant sous la double impulsion des succès des précédentes tentatives et des besoins nouveaux de notre industrie. Indépendamment des considérations particulières que peut suggérer chacune des affaires, la situation commune à ces intérêts soulève des questions importantes et attachantes.

Si l’on réfléchit que la plupart des grandes affaires constituées en sociétés anonymes n’ont pas pour objet l’appropriation de ce que les économistes appellent des monopoles naturels, que souvent la plus-value immédiate dont s’accroît leur capital n’est pas non plus le résultat d’une richesse ajoutée à l’apport primitif par le travail et l’industrie, mais n’est que la capitalisation anticipée de leurs revenus présumés, il y a lieu de regarder de très près aux conditions auxquelles ces monopoles artificiels ont été conférés. Puis, une fois en présence des compagnies, il importera d’étudier ce qu’on pourrait appeler la constitution et le gouvernement intérieur de ces grandes corporations. Nous assistons ici, comme nous l’indiquions en commençant, à un phénomène nouveau dans notre histoire : l’envahissement de la grande industrie par le régime de la société anonyme, et, au moyen de ce régime, la création d’une nouvelle forme de propriété, la propriété fractionnée, mobilisée, anonyme aussi. Jusqu’à quel point la société anonyme peut-elle se concilier avec le véritable