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a fait épanouir, ont de quoi blesser les délicats, et fourniront un fonds trop riche au peintre railleur ou attristé des mœurs contemporaines ; mais ce serait un autre travers que de se choquer outre mesure des inconvéniens qui accompagnent la manie actuelle, et de la confondre dans le même mépris avec les grands intérêts qui en sont le prétexte et la féconde activité dont elle est l’ivresse.

Dans l’ordre des intérêts matériels, les combinaisons qui doivent tourner à l’avantage général sont presque toujours unies au profit particulier de quelques-uns; de là la répugnance que certains esprits éprouvent pour ces intérêts et la subordination à laquelle ils seraient enclins à les condamner. C’est une étroite et injuste prévention. Les intérêts économiques sont bien le champ où se démènent les appétits les plus rapaces de l’égoïsme; mais les progrès économiques servent non-seulement les intérêts matériels, mais les intérêts moraux les plus élevés de l’humanité. Le but éminent de la civilisation chrétienne et moderne, c’est la réalisation progressive de l’idéal humain chez tous les hommes. Dans cette œuvre, la tâche de l’industrie est d’affranchir graduellement le plus grand nombre d’une des servitudes les plus cruelles qui pèsent sur l’homme, celle de la misère. Du jour où les lois qui président à la production et à la distribution des richesses ont été étudiées et où l’économie politique est devenue une science, le problème de la diffusion progressive du bien-être chez le plus grand nombre a été posé et enfermé dans ses exactes données. Trois élémens concourent à la production des richesses, le travail, les agens naturels, le capital : le travail, c’est-cà-dire les hommes consacrant à la production les efforts de leur intelligence et de leurs bras; les agens naturels, c’est-à-dire la terre avec les produits que le travail humain tire d’elle, avec les richesses minérales qu’il extrait de son sein et avec les forces que les lois de sa constitution physique fournissent au travail humain comme auxiliaires; le capital, c’est-à-dire la portion des produits du travail antérieur que les hommes ont conservée. De ces trois élémens, celui dont le développement exprime notre lutte incessante contre la misère, c’est le travail; mais le développement du travail est limité par les deux autres élémens, les agens naturels et le capital. D’un côté, la somme des richesses que le travail peut produire et que les travailleurs peuvent se partager dépend de la source qui les fournit, la terre et les agens naturels : elle est bornée par les facultés productives de la terre et des agens naturels qu’il est possible à l’homme de s’approprier; de l’autre, la somme de travail qui peut être appliquée à la production dépend de la quantité des produits antérieurs accumulés, nécessaires à l’existence des travailleurs pendant le temps qu’exige l’œuvre de la production nouvelle : elle est bornée par le