Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/298

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moyens de discipline, il n’y aurait bientôt plus possibilité de maintenir l’ordre dans la plantation. Le colonel ne trouva rien à répondre à cet argument irréfutable, et maintint Gore dans ses fonctions. En effet ce n’est point l’overseer qui est coupable et à qui l’on doit demander compte de pareils crimes ; l’overseer n’est que le ressort principal d’une machine brutale, l’instrument d’une institution barbare. Il n’est pas plus responsable de tels crimes que le bourreau ne l’est de la peine qu’il applique, du jugement qu’il exécute, et qu’il n’a pas rendu.

Voilà quelques-uns des traits de cette odieuse institution, odieuse de quelque point de vue qu’on l’envisage, odieuse sans aucune de ces compensations que l’analyste et le philosophe se réjouissent de découvrir dans les choses et les lois les plus justement décriées, comme la preuve que le mal ne peut triompher absolument du bien, et que l’absinthe contient presque toujours un mélange de miel. Avec l’esclavage, on n’a aucune consolation de cette nature ; c’est une institution radicalement détestable ; elle n’a rien d’humain, elle est incapable de produire aucun effet moral. Le sud en fait la trop triste expérience, et reçoit le juste châtiment des crimes qui s’accomplissent sur son territoire. Tout dégénère sur cette terre fertile, hommes, âmes, produits matériels, travail même, tandis que tout prospère au contraire sur le terrain de roc et de sable de la Nouvelle-Angleterre. L’esclavage a tout étiolé et tout flétri. Les hommes portent dans leurs relations sociales les habitudes de violence qu’ils ont contractées au foyer domestique, ils ont recours dans leurs contestations au pistolet et au poignard, et vident leurs querelles au coin des rues et sur les places publiques au moyen d’attentats et de crimes. L’homme de race blanche, habitué à mépriser la vie du noir, arrive facilement à n’attacher aucun prix à celle de l’homme de sa couleur ; les femmes elles-mêmes, ainsi que nous l’avons vu, perdent au contact de ces mœurs féroces leurs précieuses facultés de tendresse et de pitié, et la première chose qu’on apprenne aux enfans, c’est à manier le bowie knife et à ajuster le revolver. L’éducation, à laquelle les Américains attachent tant de prix, est négligée dans le sud, et rien ne prouve mieux l’infériorité de culture et d’instruction des hommes du sud que la comparaison des fonds d’écoles dans les états du nord et dans les états à esclaves. En fait, on y rencontre des planteurs riches et même opulens qui n’ont jamais appris à lire et savent aussi peu signer leur nom qu’un baron des premiers temps de la féodalité ; la publicité y est plus restreinte également que dans le nord, et le nombre des journaux infiniment moins considérable. Les mœurs y sont plus relâchées, et les enfans des planteurs y ont les allures et les caprices insolens de dandies tur-