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et à exécuter des châtimens tels que le monde n’en a point vu depuis les jours du saint-office. Ils font, pour empêcher le progrès des évasions, ce que l’inquisition a fait pour empêcher le progrès de l’hérésie : ils torturent, ils pendent, ils brûlent, et pour que la ressemblance soit complète, ils convoquent, comme les dominicains espagnols, des multitudes immenses pour jouir de leurs auto-da-fés. Il n’y a pas bien longtemps que toute l’Europe a pu lire un affreux récit : un pauvre nègre fugitif fut attaché à un arbre autour duquel on mit le feu, à une assez grande distance cependant pour le faire rôtir à point et rissoler convenablement. La douleur doublant ses forces, le malheureux parvint à rompre ses liens : il franchit d’un bond le cercle de feu qui l’entourait, mais ce fut pour rencontrer un cercle de fer ; vingt revolvers se levèrent à la fois contre lui, et il tomba mort heureusement avant d’avoir subi toutes les tortures d’un tel supplice. Or ce fait n’était pas un fait isolé, une exception ; il se renouvelle souvent et dans des circonstances encore plus horribles. Voici le récit détaillé d’une de ces scènes ; nous craindrions de l’affaiblir si nous en supprimions une seule phrase.

« Peu de temps avant ma tournée dans la Georgie, il se passa dans cet état une tragédie à peu près semblable (l’auteur vient de raconter une exécution du même genre), quoique les détails fussent encore plus choquans. J’ai visité le lieu où elle s’est passée, j’en ai recueilli le récit de la bouche de diverses personnes, et en particulier de la bouche de mistress A…, femme d’un propriétaire d’esclaves, qui avait été forcée par son mari à être témoin de la scène, et qui me l’a racontée dans tous ses détails. Cette dame, native d’Augusta, était intelligente et chrétienne. Comme beaucoup de femmes du sud, elle était opposée à l’esclavage et sympathisait avec les souffrances des esclaves, et pour cette raison son dur et atrabilaire mari l’avait forcée à venir avec lui contempler la terrible scène. La maîtresse de cet esclave lui avait infligé une punition que je ne veux ni nommer, ni décrire. Brûlant de se venger, l’esclave s’arma d’une petite hache et la frappa deux fois à la tête ; les blessures étaient graves, et lui-même les crut mortelles : néanmoins elle se rétablit par la suite. Si la loi du talion a jamais pu être justifiée, si la vengeance a jamais été légitime, cet esclave, en prenant la vie de sa maîtresse, était dans son droit. S’il n’eût pas été esclave, le sentiment public, l’aurait proclamé innocent. Tel fut son sentiment. Au lieu d’essayer de fuir, il courut immédiatement au tribunal, qui était alors en session, dit ce qu’il avait fait, et exprima le désir de subir la peine infligée par la loi. Il s’attendait à être pendu comme ceux qui, coupables de meurtre, n’avaient pas eu la même excuse que lui. Il ne désirait ni prolonger son existence, ni éviter sa condamnation ; mais les propriétaires d’esclaves de cette région décidèrent qu’il subirait un sort tout différent. Ils décidèrent qu’il serait brûlé vif, et ils l’offrirent en sacrifice sur l’autel sanglant de l’esclavage ! Ils recueillirent de l’argent par souscription pour payer à la maîtresse la valeur de son esclave. L’esclave leur fut remis, et pendant cinq jours il reçut chaque