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pendance moins susceptible, plus matériel, plus actif peut-être, mais certainement peu élevé. Travailler et faire fortune par tous les moyens, tel a été le but principal des Américains. Le sentiment protestant au contraire s’est moins affaibli, et, une fois débarrassé de l’espèce de contrainte que lui imposait l’élément philosophique, il a repris quelques-unes de ses anciennes allures. Il y a eu une sorte de recrudescence protestante à mesure que l’esprit de la révolution a décliné, et si aujourd’hui il existe encore un sentiment moral généralement répandu aux États-Unis, on le doit à l’esprit de la Bible et non plus à l’esprit du xviiie siècle. Or, quoiqu’il soit absurde de chercher dans la Bible, comme le font certains ministres du sud, des argumens favorables à l’esclavage, on ne peut nier cependant que le livre saint ne contienne la condamnation formelle de la race de Cham. En dépit de l’esprit qui vivifie, la lettre qui tue a son influence sur les âmes ; elle rend l’indignation plus tiède, les sympathies moins vives, et comprime par des souvenirs de textes l’explosion des sentimens. L’esprit biblique des États-Unis, je le crois, malgré Mme Stowe et les prédicateurs du nord, dont l’exemple et les écrits semblent en apparence donner un démenti à cette assertion, n’est donc pas sans influence dans cette question de l’esclavage.

On voit quelles nombreuses circonstances se réunissent pour imposer aux États-Unis le maintien de l’esclavage. Comme cette question n’est point de celles qui peuvent se dénouer par le glaive ou par le vote d’une majorité, nous avons cru longtemps qu’il serait possible d’arriver par la patience et la modération à un dénoûment définitif ; maintenant nous sommes, hélas ! beaucoup moins confiant. Il se peut que l’esclavage soit établi aux États-Unis pour l’éternité, et qu’à moins d’une intervention providentielle difficile à prévoir, les planteurs américains se présentent au jugement dernier le fouet à la main et leurs nègres en laisse. Voilà donc exactement l’état de la question : le nord recule et perd du terrain, les compromis le ruinent peu à peu, et même lorsqu’ils semblent lui être avantageux, ils ne profitent qu’au sud. La politique nouvelle d’expansion et de conquête favorise l’esclavage ; les instincts à demi barbares et l’esprit aventureux de l’ouest le secondent ; l’industrie européenne l’a maintenu, l’industrie américaine l’augmentera, et les préjugés de sang, d’opinion et de religion lui prêtent un appui moral immense, — dans le sud en aveuglant et en rassurant la conscience des propriétaires d’esclaves, dans le nord en énervant et en débilitant par leur action latente et délétère l’énergie de résistance des partisans de la liberté. Telle est la situation ; elle n’est pas brillante.

Ainsi attaqué et menacé, le nord se défend comme il peut ; il fait, on peut le dire, un dernier effort en faveur de la légalité et de l’union.