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chée au nord, que s’élève la question de l’organisation des territoires de Nebraska et Kansas. Rien n’était plus simple que l’organisation de tels territoires. Il existait une loi fédérale, connue sous le nom de Missouri compromise, qui interdisait l’esclavage dans les territoires à l’ouest du Mississipi au-delà du 36e degré de latitude. Les territoires de Nebraska et Kansas étaient situés au-delà de cette latitude et affranchis par conséquent de cette odieuse institution. Les hommes du sud, qui jadis n’avaient pas trouvé le compromis de 1850 assez favorable à leurs intérêts, s’avisent de demander le rappel du Missouri compromise, ou, pour mieux dire, la révision de cet acte en vertu des principes du compromis Clay. Cette tactique d’hypocrite légalité réussit encore, et il se trouva une majorité pour voter le rappel du Missouri compromise, et un président homme du nord pour sanctionner cette mesure. Nous ne voulons pas incriminer la conduite des hommes des états libres : ce n’est point par absence de principe qu’ils ont agi, ils peuvent même invoquer en faveur de leur conduite les sentimens de patriotisme les plus sacrés ; ils n’ont pas osé, — et ce mot dit tout, — ils n’ont pas osé sacrifier la patrie, le souvenir d’un passé chéri, les espérances d’un avenir grandiose et éblouissant à la liberté, à l’humanité et à la justice. Le nord s’est soumis à la suite de ses hommes politiques. En vain des troubles ont éclaté, en vain Gerritt Smith a réuni sa convention abolitioniste de Syracuse, en vain M. Hale et M. Seward ont tonné, en vain l’éloquent Théodore Parker a lancé ses foudres d’excommunication contre les possesseurs d’esclaves : le bill est devenu loi de l’état. Rien n’est perdu encore, a pensé le nord ; si les principes du compromis Clay que l’on invoque sont appliqués, la question sera librement débattue. Les habitans et les colons du Kansas pourront, réunis en conventions et en assemblées délibérantes, décider librement s’ils veulent que l’esclavage s’établisse ou non au milieu d’eux, comme les habitans de la Californie et du Nouveau-Mexique ont été appelés à le faire. — Cette dernière illusion de paix a dû tomber comme toutes les précédentes. Si le nord recule devant la violence, ce n’est pas le sud qui reculera. Les Missouriens ont donc passé dans le Kansas en belles bandes armées, et se sont mis en train de résoudre la question contre leurs adversaires, non au moyen de discours et de bulletins, mais au moyen du revolver et du bowie knife. Le sang coule depuis près d’un an, il coule encore à l’heure où nous écrivons.

L’esclavage triomphe donc. Le nord recule peu à peu, et à chaque pas en arrière se trouve un peu plus impuissant, ou, pour mieux dire, il sent le pistolet de son adversaire un peu plus près de lui. Il recule par patriotisme et par crainte d’agir, espérant toujours son salut de la justice et des principes moraux. Quant au sud, qui n’a pas à espé-