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sait faire quand il n’est contrarié en rien dans ses légitimes instincts, ni par la science, ni par les idées, ni par la noblesse, ni par le peuple. C’est là assurément qu’il a dû accomplir ses miracles, que la société a dû être nivelée, la plèbe relevée, le tiers-état honoré, la noblesse humiliée, la vie civile développée. Voyons donc dans quel état s’est retrouvée cette société après un travail continu d’un siècle ; tout le monde est d’accord là-dessus. Voici ce qui a été découvert dès que l’on a soulevé la pierre du sépulcre : l’inégalité la plus monstrueuse qui fût jamais, une noblesse fondée sur la seule faveur du prince, sur un caprice, quelquefois sur la trahison ouverte, ou sur une aptitude plus grande aux exactions, aux déprédations ; rien qui réponde au tiers-état ; les anciens défenseurs du pays, les nobles du temps d’Étienne, rejetés pêle-mêle avec les hommes de la glèbe ; une même poussière humaine, foulée, broyée sous les pieds de quelques-uns ; un peuple qui se vend, village par village, homme à homme, pour se racheter de l’usure des grands et du prince ; au sommet, des fortunes colossales, tout ce qu’on peut imaginer de dissolution et de frivolité joint à un mélange de barbaries mérovingiennes jusqu’à la fin du xviiie siècle ; au bas de l’échelle, une misère sans nom dans une terre où tout abonde, où les fruits produits sans culture ont souvent nourri des armées ; le paysan obligé de donner à quelque puissant voisin son champ, son verger et bientôt sa cabane, si le voisin s’en soucie ; des peuples qui fuient une terre maudite, et qui y sont ramenés de force pour être dévorés ; çà et là, comme des îlots, quelques communes restées libres et propriétaires du sol, mais ces îlots disparaissant chaque jour, entamés, entraînés dans le même gouffre ; le toit du paysan de plus en plus réduit, et qui semble à la fin s’ensevelir sous terre pour se dérober au regard du déprédateur ; toutes les écoles supprimées, plus de langue nationale, car il est important que la noblesse et le peuple ne puissent même plus se comprendre, d’où l’impossibilité même de la plainte, qui ne touche plus les oreilles de personne, et une distance plus immense entre le peuple qui devient muet et les grands qui restent sourds ; puis, comme dernier résultat, un silence si profond de tous ces misérables, que l’Europe sait à peine aujourd’hui s’il est bien vrai que cet enfer ait existé. Ici d’ailleurs comme partout, la plèbe a peu de commisération pour la plèbe : les coups qui ne frappent qu’elle restent sourds, ils n’ont pas même de retentissement dans l’histoire.

Au milieu de cette détresse, quelques efforts, que l’on peut appeler héroïques, pour corriger ce qui semblait incurable. Ne parlons en ce moment que d’un mort. Sur le fond de la société de Jassy apparaît, au commencement de ce siècle, la figure du chef du clergé moldave, le métropolitain Benjamin, comme un esprit de renaissance parmi les