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tiers accepté le même rôle. Les états secondaires, de leur côté, ont eu un moment l’idée de demander une représentation spéciale pour la confédération. Il y avait donc divers projets en présence. Seulement, pendant que les combinaisons de la diplomatie allemande suivaient leur cours, les négociations se sont ouvertes sans le concours de l’Allemagne, et même sans que la Prusse y fût admise en sa qualité de grande puissance. La Prusse et l’Allemagne n’avaient oublié qu’une chose : c’était de se placer par leurs engagemens sur le terrain où se sont placées toutes les autres puissances. Aujourd’hui la diète de Francfort, saisie par l’Autriche des propositions récemment acceptées par la Russie, vient de prendre une de ces décisions tortueuses et évasives qui lui sont familières. Qu’a donc décidé la diète de Francfort ? Elle accepte sans nul doute les conditions stipulées, mais en réservant son libre arbitre au sujet du cinquième point, c’est-à-dire que l’Allemagne entrera dans les négociations quand les difficultés sérieuses seront vidées, après quoi elle se rendra incontestablement la justice qu’elle a beaucoup contribué à rendre la paix au monde. Que la Prusse et l’Allemagne au surplus soient admises dans la conférence au dernier moment, ou qu’elles restent au seuil de cette grande affaire jusqu’à la fin, c’est entre les puissances sérieusement engagées qu’est le véritable débat, et c’est entre ces puissances que la question sera résolue.

Le congrès du reste poursuit son œuvre au milieu du plus entier mystère, sans nulle précipitation, et il est douteux qu’il ait pris quelque résolution assez importante pour que le chef de l’état puisse la communiquer au corps législatif, qui va se réunir dans trois jours. Le silence s’est fait, disons-nous, autour de ces négociations. Le mouvement politique est remplacé par ce tourbillon de fêtes que provoquent toutes les grandes circonstances. Au milieu de cette vie agitée par tant de choses sérieuses ou frivoles, politiques ou intellectuelles, un poète, un homme du plus rare talent vient de disparaître : c’est Henri Heine, l’auteur des Reisebilder et de l'Interimezzo. On peut dire que Henri Heine n’a fait qu’achever de mourir. Depuis longtemps, la vie physique semblait avoir délaissé ce corps débile et envahi par le mal ; il ne restait que l’esprit, un esprit ailé, étincelant, à la fois terrible et charmant. Après Goethe, il n’y a point eu en Allemagne de plus grand poète ; il réunissait tous les dons de l’inspiration hormis le respect dû aux grandes choses. Le malheur de Henri Heine en effet, c’est de s’être livré tout entier à la déesse de l’ironie, d’avoir tout raillé jusqu’à la douleur qui l’accablait, et cependant il touchait déjà à la mort, ce dernier et sérieux mystère devant lequel toutes les railleries s’effacent et se taisent.

Le mouvement perpétuel des opinions et des idées ramène de temps à autre, dans le domaine des discussions intellectuelles ou de la politique, certaines questions d’un ordre supérieur qui ont le privilège de mettre aux prises toutes les tendances et même toutes les passions d’une époque. De ce nombre sont surtout les questions religieuses, les plus graves et les plus délicates qui puissent se produire. Chose remarquable assurément, il y a eu en Europe, depuis quelques années, une véritable invasion de systèmes et de théories qui ne s’occupaient guère de la religion que pour la bannir des affaires humaines et lui imprimer le sceau d’une puissance déchue. Les