pétrifiée. Après le dîner, il sortit, mais ne demeura pas longtemps dehors; il rentra, monta au grenier à foin, où il se coucha. La nuit vint, une nuit calme, sereine, crépusculaire, — la plus magnifique du monde. Guérassime était couché, respirant avec peine et ne faisant que se retourner. Tout à coup il se sentit tirer par un bout de sa couverture, il se mit à trembler; toutefois il ne releva pas la tête et ferma même les yeux. Voilà pourtant qu’il se sent tirer de nouveau, et cette fois plus fort que la première... Aussitôt il se jette à bas de sa couche, regarde... c’était Moumoû, Moumoû qui se met à gambader autour de lui, faisant sauter un bout de corde rongé qu’elle porte au cou. L’émotion du dvornik ne saurait se décrire; il se baisse, saisit le chien, le serre contre sa poitrine, tandis que celui-ci, levant la tête, lui lèche follement les yeux, la moustache et la barbe.
Guérassime demeura un instant immobile et réfléchit, — après quoi il descendit avec précaution du grenier, s’assura, en regardant de tous côtés, que personne ne le voyait, et gagna heureusement sa mansarde. — Il s’était douté d’abord que son chien ne s’était pas perdu tout seul, mais qu’il avait été enlevé par ordre de la vieille dame, car les gens lui avaient expliqué par signes comment Moumoû s’était attiré sa colère. Le muet résolut donc de prendre ses mesures en conséquence. Il commença par donner à manger à la bête, la caressa, la coucha soigneusement, et chercha pendant toute la nuit les moyens les plus propres à la dérober à tous les yeux. Après bien des projets, il imagina de laisser pendant le jour le chien dans sa mansarde, où il irait le voir de temps en temps, et de le faire sortir la nuit. Son plan arrêté, il ferma hermétiquement l’ouverture qu’il avait pratiquée dans la porte, et enferma la pauvre bête. Quant à lui, dès l’aube, il était dans la cour à sa besogne habituelle, comme par le passé, conservant même sur sa figure, — ruse innocente, — l’expression de tristesse que la perte de son chien y avait imprimée. Le pauvre muet ne pouvait se douter que Moumoû, par ses aboiemens, ne tarderait pas à se trahir elle-même.
En effet, tout le monde sut bientôt dans la maison que la chienne était revenue, et que son maître la tenait renfermée dans sa mansarde; mais par un sentiment de commisération pour lui, de pitié pour Moumoû, et peut-être aussi un peu par crainte, personne ne fit comprendre à Guérassime que son secret était connu. Le majordome seul se gratta la nuque et fit un geste de la main qui semblait vouloir dire : Eh bien ! que Dieu le protège ! Espérons que madame n’en saura rien.
Jamais Guérassime n’avait montré autant de zèle et d’activité que ce jour-là : il balaya toute la cour, sarcla minutieusement le jardin, retira tous les palis de sa clôture pour s’assurer de leur