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LITTÉRATURE RUSSE

MOUMOUNIA


Ce n’est pas d’ordinaire dans leurs commencemens qu’on aime à observer les littératures ; on attend volontiers, pour s’en occuper, l’époque de force et d’épanouissement, qui, pour quelques-unes, ne vient jamais. L’époque moins brillante et plus laborieuse où une littérature cherche à se créer une vie originale mérite cependant qu’on l’interroge et qu’on l’étudie. Si l’on prend pour exemple la littérature russe, il est difficile de refuser son intérêt au spectacle des tentatives qu’elle multiplie depuis quelques années pour s’élever à l’indépendance, après avoir longtemps subi les influences étrangères. Dans son désir d’exprimer fidèlement la vie nationale, elle ne se lasse pas d’en reproduire les aspects, d’en noter les singularités, d’évoquer sous mille formes les types divers qui la représentent. C’est par l’observation en quelque sorte qu’elle se prépare à l’invention, et la plupart des récits nés de cette tendance nous apparaissent moins encore comme des témoignages littéraires que comme les chapitres épars d’une vaste enquête que la Russie poursuit courageusement sur elle-même.

L’histoire qu’on va lire porte à un haut degré ce caractère d’exactitude et cette empreinte locale que recherchent les écrivains russes. L’auteur, M. Ivan Tourguenef, est bien connu déjà par un livre qui, hors de son pays même, a trouvé des lecteurs sympathiques et des appréciateurs compétens[1]. Les Mémoires d’un Chasseur étaient un curieux ensemble d’études sur la vie de campagne en Russie. Dans le nouveau récit, la scène change ; nous sommes à Moscou, et l’homme de la campagne est placé en regard de la domesticité servile d’une grande maison russe. Le type de serf qu’a tracé M. Tourguenef est de nature sans doute à provoquer l’étonnement aussi

  1. Voyez, sur les Mémoires d’un Chasseur, de M. Ivan Tourguenef, l’article de M. P. Mérimée dans la Revue du 1er Juillet 1854.