Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pamphlet, ce sont mes accusateurs eux-mêmes qui en seront cause. On dit que je fomente des haines de parti, et ce sont des haines de parti qui me poursuivent. Croit-on réussir à m’ébranler au moment où l’on me donne si manifestement raison? Non, certes; de telles attaques n’ébranlent pas une conscience tranquille et ferme, elles lui donnent au contraire un stimulant nouveau; rassurez-vous, mes chers amis, l’inspiration que j’y puise n’altérera pas mon égalité d’âme, elle ne m’entraînera jamais hors des limites du devoir et de la justice. » Excellentes paroles, témoignage de modération et de force ! M. Gervinus pouvait braver l’orage; condamné vainement par le ministère du grand-duché de Bade, son livre était lu par l’Allemagne entière, et cette préface si injustement attaquée préparait un triomphe certain à l’Histoire du dix-neuvième siècle.

Cette Histoire du dix-neuvième siècle est écrite avec une prédilection particulière; on voit que M. Gervinus en voudrait faire le travail capital de sa vie, comme l’Histoire de Florence, le dernier des écrits de Machiavel, est demeuré son chef-d’œuvre. Jamais il n’a été si net et si précis; un art inaccoutumé préside à l’économie du livre, et des portraits, vrais ou faux, mais tous dessinés avec soin, se détachent habilement sur la trame élégante du récit. Jugeons cependant l’ouvrage de M. Gervinus sans nous préoccuper de la persécution qui en a doublé le prix aux yeux de la foule. L’auteur dédie son histoire à M. Schlosser, et nous la présente comme la continuation de l’Histoire du dix-huitième siècle, récemment terminée par son vieux maître. — Votre histoire, dit-il à M. Schlosser, s’arrête en 1815; c’est là que la mienne commence. Je veux y peindre le temps des fausses promesses et des mensonges, des congrès et des protocoles, des persécutions politiques et des conspirations, des espérances et des désenchantemens. — Ce sont les expressions mêmes par lesquelles M. Schlosser, en terminant son œuvre, caractérise la période qui s’ouvre au congrès de Vienne. M. Gervinus accepte ce programme, et se dispose à le remplir. Ce parti-pris ne nuira-t-il pas à la gravité du tableau? N’y verra-t-on pas trop souvent le développement d’une thèse préconçue? J’en ai peur, et le premier volume, que j’ai sous les yeux, confirme çà et là mes alarmes. La science est plus calme; elle ne procède pas comme un réquisitoire, et n’enveloppe pas dans une même condamnation toute une époque. Que de nuances dans la peinture du vrai ! Celui qui les supprime peut faire un tableau éloquent, il n’écrit pas une histoire. Nous sommes assez loin déjà de la restauration pour la juger avec impartialité. De 1815 à 1830, et de 1830 à 1848, n’y a-t-il eu que déceptions et fourberies? L’esprit humain n’a-t-il pas connu alors, sous l’influence même de la lutte, des heures d’inspiration et d’enthousiasme? N’a-t-on pas vu, au lendemain du drame de l’empire, le plus noble essor des intelligences?