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Aussitôt l’élite des professeurs de Goettingue adressa au curateur de l’université une calme et vigoureuse protestation. C’étaient tous des hommes distingués par la science; quelques-uns étaient illustres et vénérés. L’Allemagne n’a pas oublié les sept noms inscrits au bas de cet acte; on l’voyait d’abord les deux patriarches de la philologie germanique, MM. Jacob et Wilhelm Grimm, puis l’historien Dahlmann, le jurisconsulte Albrecht, l’orientaliste Ewald, le physicien Weber; M. Gervinus, le plus jeune des sept, n’avait pas été le dernier à son poste, car l’arrêté qui les destitua tous lui accordait, ainsi qu’à deux de ses collègues, une distinction particulière : M. Gervinus fut expulsé de Hanovre avec M. Dahlmann et M. Jacob Grimm.

Ce fut là une heure brillante dans la vie de M. Gervinus. Associé à des noms vénérés, il avait eu l’honneur de souffrir pour une cause juste. Les yeux de l’Allemagne étaient fixés sur lui, et cette disgrâce illustre, comme dit Corneille, doublait l’autorité de sa parole. Ce fut aussi une période d’activité nouvelle. Il retourna à Darmstadt au sein de sa famille; il s’enferma dans la retraite, et, pour se consoler de ne plus avoir en face de lui son jeune et généreux auditoire, il redoubla d’ardeur et de zèle comme écrivain.

Un professeur de l’université de Breslau, destitué pour des poésies politiques, M. Hoffmann de Fallersleben, s’écriait à peu près vers le même temps :


« J’ai été professeur; me voilà destitué. Autrefois je pouvais faire des leçons; que puis-je faire maintenant?

« Maintenant je puis penser, je puis chanter; j’ai la liberté d’enseignement, et personne ne me gênera plus, d’aujourd’hui jusque dans l’éternité.

« Point de ministre qui m’inquiète, point de majesté, point d’étudians ni de philistins, point d’université non plus.

« On a enterré le professeur; un homme libre est ressuscité. Que puis-je désirer de plus? Vive la patrie! »


M. Gervinus ne parle pas tout à fait ainsi, il regrette sa chaire. « Malgré toutes les entraves de l’enseignement public, écrivait-il quelques mois plus tard, le meilleur auditoire auquel puisse s’adresser un penseur, le meilleur trésor à défricher, à féconder, c’est la loyale jeunesse de nos écoles. » Toutefois, ce tribut payé à ses souvenirs et à ses regrets, il reprend son œuvre avec l’enthousiasme du combat. D’abord il publie son troisième volume, et il y met une préface où l’homme qui a frappé Dalhmann et Gervinus est stigmatisé aux yeux de l’Allemagne. Peu de temps après, Jacob Grimm est appelé à l’université de Berlin, M. Dalhmann est placé à Bonn, M. Ewald à Tubingue; la préface de M. Gervinus a trouvé des échos dans les conseils des rois. Bientôt les deux derniers volumes de l’Histoire de la Poésie allemande sont livrés à l’impatiente curiosité du public, et