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le commencement de Gudrun (1836). L’essai a-t-il réussi? Oui certes, si M. Gervinus n’a voulu que donner une indication. Des écrivains sont venus qui ont recueilli l’idée et l’ont exécutée avec plus d’art et de bonheur. Quand la Gudrun de M. Gervinus n’aurait fait que montrer à M. Charles Simrock, au traducteur futur des Niebelungen, du Parceval, du Heldenbuch, le champ où il devait récolter de si riches moissons, on devrait lui pardonner une tentative si peu faite pour sa plume. Au reste, ce fragment épique avait paru sans nom d’auteur; c’est assez de l’indiquer en passant. Je reviens aux travaux que M. Gervinus a signés.

M. Gervinus venait de mettre au jour les deux premiers volumes de son grand ouvrage, quand un incident inattendu le jeta subitement dans la vie politique. Guillaume IV, roi d’Angleterre et de Hanovre, était mort sans enfans, le 20 juin 1837, laissant le trône d’Angleterre à sa nièce la princesse Victoria, fille du prince Edouard, duc de Kent, et petite-fille de George III. Le Hanovre, fief masculin, ne pouvait faire partie des états de la jeune reine; il échut à un frère de Guillaume IV, au prince Ernest-Auguste, duc de Cumberland. Le duc de Cumberland avait été le chef du parti tory en Angleterre; le roi Ernest-Auguste fut dès le premier jour l’adversaire intraitable des libertés du Hanovre. Il le déclara lui-même officiellement dans sa proclamation du 7 juillet 1837, faisant savoir à tous qu’il ne se considérait pas comme lié par la constitution de 1833, et qu’il la croyait funeste aux intérêts du pays. C’était là un singulier don de joyeux avènement. L’Allemagne s’émut; les tribunes de Munich, de Dresde, de Stuttgart, de Carlsruhe, si humbles qu’elles fussent d’ordinaire, firent entendre des protestations énergiques, et l’opinion publique dans le Hanovre, soutenue par ces éclatans témoignages, s’apprêta à la résistance. On crut un instant que l’orage était passé. L’université de Goettingue, la docte et glorieuse Georgia-Augusta, fondée en 1737 par le roi d’Angleterre George II, se préparait à fêter cet anniversaire séculaire. Tous les maîtres de la science germanique, à leur tête M. Alexandre de Humboldt, s’étaient donné rendez-vous à ces fêtes de l’esprit. Le jubilé de Goettingue eut lieu au mois de septembre, et l’on espéra que ce concours immense, ces hôtes illustres, ces joies de la pensée, ce déploiement des forces morales et intellectuelles de l’Allemagne ferait reculer l’agresseur. Était-ce en face de cette pacifique armée de l’intelligence qu’un souverain, étranger la veille encore, oserait porter une telle atteinte aux droits du pays qu’il venait gouverner? Vaine espérance! Six semaines après la fête, le 30 octobre, les chambres furent dissoutes, et le surlendemain, 1er novembre, un décret royal supprimait la constitution de 1833, octroyée au Hanovre par le roi Guillaume IV.