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un chapitre d’histoire, c’est un manifeste, manifeste éloquent après tout, plein de science, plein d’idées, abondant en détails curieux, et qui amène tout naturellement, comme une conclusion nécessaire, l’interdiction de la poésie et des songes aux générations de l’avenir. L’idéal auquel M. Gervinus veut que les esprits s’attachent, le dernier souvenir qu’ils doivent garder de la longue vie intellectuelle de l’Allemagne, c’est la virile ardeur de Schiller et cette jeunesse éternelle, cette saine et vigoureuse adolescence que Goethe a dérobée à la société hellénique pour en faire don à son pays.

Tel est ce livre, le grand et sérieux titre de M. Gervinus. Il a provoqué, on le pense bien, les plus vives objections. Les romantiques d’un côté, très nombreux encore au moment où parut ce manifeste, devaient se révolter contre une critique hautaine qui sacrifiait ainsi leurs maîtres; si Goethe et Schiller avaient été traités d’intelligences prosaïques par Tieck et Novalis, on devine aisément quelles épithètes furent prodiguées à l’impétueux adversaire des Schlegel. D’autre part, la littérature qui s’agitait alors et qui, sous le nom de Jeune-Allemagne, essayait de frayer des chemins nouveaux, réclama aussi avec violence contre le dictateur qui imposait silence à l’imagination. Malgré les protestations et les colères, les principes essentiels de M. Gervinus ont fini par triompher. Le romantisme n’est plus qu’un souvenir; il y a quelques années à peine, Tieck est mort dans l’oubli, et le nom de Goethe a grandi de jour en jour. Avant l’ouvrage de M. Gervinus, plus d’un esprit d’élite répétait encore les invectives de Louis Boerne et de Menzel contre l’auteur de Faust; aujourd’hui la littérature de Goethe, comme disent nos voisins, s’enrichit sans cesse d’études, de commentaires, c’est-à-dire de glorifications nouvelles. Un des meilleurs biographes du grand poète, M. Rosenkranz, s’est même approprié les conclusions de M. Gervinus sur l’hellénisme de Goethe, et les a développées avec des vues qui lui sont propres. Par ses qualités comme par ses défauts, l’Histoire de la Poésie allemande a donc exercé sur l’esprit littéraire une action décisive. L’avenir pourra compléter ce tableau sur bien des points, on devra y regretter surtout la pure lumière du christianisme; des écrivains habiles, M. Vilmar par exemple, pour le moyen âge, M. Hillebrand pour le XVIIIe siècle, ont essayé déjà de rectifier les vues exclusives et les jugemens passionnés de l’auteur : tout mis en balance, c’est un monument.

Notons ici, à titre de curiosité, un essai poétique de M. Gervinus, publié quelques mois après le premier volume de son Histoire. En étudiant les épopées germaniques du moyen âge, M. Gervinus conçut l’idée de rajeunir pour les hommes de nos jours celui de ces vieux poèmes qui semble le mieux leur convenir; il traduisit en vers