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symptômes heureux! combien de semences qui lèveront bientôt! Ici, le théâtre et les enseignemens naïfs qu’il adresse à la foule; là, le bon sens populaire sous une forme tour à tour didactique ou joyeuse; plus loin, les mystiques, les moines franciscains, un David, un Berthold, un Hugues de Trimberg, qui mêlent à leurs rêveries le sentiment de l’indépendance spirituelle et qui entretiennent l’ardeur de l’âme; ce qui domine au milieu de ces directions contraires, c’est une inspiration morale d’où sortira la réforme. L’auteur expose ce travail des esprits avec une précision supérieure, et il couronne son tableau par le portrait en pied des trois hommes qui le résument, Thomas Murner, Ulric de Hutten et Hans Sachs. Ce groupe bizarre, mais d’une originalité si puissante, forme à coup sûr un des meilleurs épisodes de son œuvre.

Je ne puis qu’indiquer l’esprit général du tableau et mettre certains points en lumière; comment faire apprécier tous les trésors d’érudition, tous les efforts de sagacité et de critique déployés par le laborieux écrivain? Malgré les erreurs de détail, c’est là une des plus complètes et des plus vivantes peintures qu’on ait tracées de l’activité intellectuelle du moyen âge. La seconde édition surtout, publiée il y a trois ans, s’est enrichie de documens précieux et contient, on peut le dire, le dernier mot de la science. Les travaux des Grimm, des Lachmann, des Docen, des Massmann, des Haupt, des Schmeller, avaient accumulé sur maintes questions de détail des renseignemens inattendus; un opulent amateur de vieux livres, M. de Meusebach, avait laissé accessibles après sa mort des richesses trop soigneusement gardées de son vivant; M. Gervinus n’a pas voulu demeurer en arrière, il s’est remis courageusement à l’œuvre, et les trois premiers volumes de la seconde édition sont un ouvrage presque entièrement nouveau. Il y a en Allemagne des recueils spéciaux pour l’étude philologique et littéraire du moyen âge; rien n’a échappé à M. Gervinus, il a tout lu, tout apprécié, et chacune de ces découvertes, éparses dans les dissertations d’un Grimm ou d’un Lachmann, vient se ranger ici à sa place. Que d’efforts il a fallu pour soulever ce poids énorme! M. Gervinus en semble quelquefois accablé; il se traîne, il est lent, son style s’embarrasse, mais ce n’est pas là une œuvre de compilation, et bientôt l’ardeur de sa pensée le réchauffe et le relève.

Avec l’abondance des documens et la fécondité des vues, le mérite essentiel de M. Gervinus dans cette Histoire de la Poésie allemande, c’est l’ampleur et la netteté du plan. Maître de ces matériaux sans nombre, l’auteur les a distribués avec une précision supérieure. L’art qui manque trop souvent dans les détails apparaît surtout dans l’ensemble, et se révèle majestueusement à mesure