homme qui soit dans le domaine politique ce qu’a été Luther dans le champ de la théologie. C’est de ce côté que nous devons porter nos efforts. Déjà tous les maîtres l’ont senti : Goethe lui-même, du sein de son quiétisme intellectuel, n’a-t-il pas prononcé cette parole : « La muse peut accompagner avec grâce et noblesse le mouvement de la vie humaine; ce n’est pas elle qui crée le mouvement, ce n’est pas elle qui produit la vie? » Vivons donc, nous chanterons ensuite. Vivons, afin de fournir aux poètes futurs la matière même dont ils auront besoin; vivons, agissons, transformons cette société à notre image, vivons pour le droit et pour la liberté !
M. Gervinus sait bien que l’âme ne se résigne pas si aisément à une existence artificielle. Vivre exclusivement pour la poésie ou exclusivement pour l’action, même chimère! Toutes les facultés se développent à la fois au sein de l’intelligence, et il n’appartient à personne de retrancher l’une ou l’autre au gré d’une théorie. Si cela est vrai de l’âme individuelle, combien cela est plus vrai encore de cette grande âme collective qu’on appelle une nation ! Laissons donc de côté la conclusion de l’auteur; elle n’est qu’une révélation de plus sur l’impatience qui l’agite. Vous voyez se déployer ici le tribun populaire. Peu lui importe la justesse de la pensée, pourvu qu’il frappe un grand coup. Et en effet déclarer que tout est fini depuis Goethe, fermer et condamner les domaines de l’imagination, quel coup d’état dans la bouche du juge qui venait de raconter avec orgueil la gloire intellectuelle de son pays! L’Allemagne en ressentit une émotion profonde. Certes ce décret hautain n’a pas obtenu force de loi; la poésie n’a pas abdiqué, les lettres ont continué leur œuvre; qui pourrait nier cependant que les transformations qu’elles ont subies depuis quinze ans n’attestent pas l’efficacité de cette prédication hardie?
Entre les deux erreurs que je viens de signaler, entre cet orgueilleux point de départ et cette conclusion impérieuse, les cinq volumes de l’Histoire de la Poésie allemande déroulent à nos yeux de merveilleux trésors. Personne n’avait encore interprété avec tant de logique et de puissance le développement du génie germanique. La poésie, confrontée avec l’histoire, devient ici le symbole éclatant de la vie allemande à travers les révolutions des âges. Que de vues ingénieuses et profondes sur les vieilles traditions barbares, sur les épopées et les romans du moyen âge, sur les minnesinger et les meistersaenger, sur ce travail de deux siècles qui précède et enfante la réforme, sur l’influence si peu connue exercée par la guerre de trente ans, et enfin sur l’immortelle phalange de Lessing! L’idée du progrès est écrite en caractères lumineux à chaque page de ce vaillant livre. On assiste à ce continuus animi motus dont parle l’orateur