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cette savante Georgia Augusta[1], qui était encore à cette date l’une des plus glorieuses écoles de l’Allemagne. C’est en 1836 que M. Gervinus prit possession de sa chaire. Il venait de commencer en même temps la publication de l’ouvrage qui est et demeurera son meilleur titre, l’Histoire de la poésie allemande. Professeur et historien de la littérature nationale, le voilà désormais dans toute l’activité du rôle qu’il ambitionne. Il a une double chaire pour sa prédication. Ici il s’adresse à une jeunesse ardente, là il parle à l’Allemagne tout entière. Écoutons-le : il va expliquer le passé à sa manière pour propager autour de lui les excitations viriles dont il croit que son pays a besoin.

Deux idées conçues avec passion, exprimées avec force, mais également excessives et inadmissibles toutes les deux, dominent cette Histoire de la Poésie allemande. M. Gervinus est persuadé que la littérature de son pays a seule accompli la mission assignée aux littératures modernes, et il croit en même temps que cette littérature doit s’arrêter, qu’elle a fait son temps, qu’elle n’a plus rien à dire, que l’imagination n’a plus d’action utile à exercer, que la poésie enfin doit céder la place à la politique.

La littérature allemande a seule accompli la mission de l’esprit moderne! « — Oui, répond hardiment l’historien. Après les excès ou la mauvaise direction de l’activité dans les sociétés païennes, le christianisme a pu être un repos nécessaire; mais c’est l’action, en définitive, qui est la destination de l’humanité, et avec l’action le goût de la réalité, le sens des choses pratiques, l’observation, la peinture, l’étude philosophique ou poétique du monde qui nous entoure, en un mot tout ce qui donne une éternelle valeur aux modèles de l’antiquité grecque. Le but des littératures modernes est donc de nous affranchir des liens du moyen âge, de restituer à l’homme son activité perdue et de nous remettre en possession du terrain fécond où se déploya le génie des Hellènes, » Hegel, le sombre et puissant Hegel, a écrit des pages d’une grâce toute lumineuse sur cette civilisation hellénique qui fut l’adolescence du monde, et où toutes les manifestations de l’esprit, l’épopée, le drame, la statuaire, aussi bien que la philosophie et la religion, dessinèrent en traits immortels la figure de l’humanité; M. Gervinus veut que l’esprit moderne, renouant la chaîne brisée de l’inspiration et rentrant dans les voies de la nature, retrouve, non pas cette adolescence elle-même, mais une virilité qui en soit digne. Quel peuple, quelle

  1. C’est le nom de l’université de Goettingue. On sait que chaque université allemande a ainsi son nom de baptême, qui rappelle ordinairement le souverain auquel elle doit le plus. L’université de Goettingue a été fondée en 1737 par George II (Auguste), roi d’Angleterre et de Hanovre.