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nous arrêtent chez l’historien des lettres germaniques, combien ils sont rachetés par le zèle d’une science laborieuse et l’ardeur d’une conviction forte ! Qu’on lui refuse les dons aimables de l’esprit, j’y consens volontiers, pourvu qu’on reconnaisse en même temps que cette rudesse de la pensée a été plus salutaire que nuisible à l’Allemagne du XIXe siècle. C’est ainsi que la conscience publique l’a jugé. Passionné comme il l’est pour les devoirs et les espérance de la société moderne, c’est peut-être un bonheur qu’il ait pu recueillir tout d’abord dans l’humble emploi de sa jeunesse le sentiment et le goût de la tradition bourgeoise. Avec son ardente foi littéraire et sociale, avec son désir obstiné de renouveler l’esprit de son pays, le commis du négociant de Darmstadt, devenu historien et publiciste, est certainement une figure bien allemande.

M. Gervinus était bien jeune encore, lorsqu’il sentit s’éveiller les inspirations patriotiques et studieuses qui devaient diriger sa vie, et cependant que de temps perdu déjà! que d’études à commencer ou à refaire! Il se mit courageusement à l’œuvre, et, s’initiant lui-même aux secrets de la philosophie et de l’histoire, il eut bientôt acquis la solide préparation qui lui manquait. Heidelberg n’est pas loin de Darmstadt; c’est là que tendaient les vœux du vaillant affranchi. Le jour où il arriva à l’université, avec cette instruction toute vive et sans routine, avec cette curiosité immense qui est le trésor des natures bien douées, il est probable qu’il n’y avait pas au pied des chaires illustres un grand nombre d’auditeurs aussi avides et aussi intelligens que celui-là. Ce fut l’histoire qui l’attira de préférence, non pas l’histoire érudite et vainement contentieuse, mais l’histoire pratique, l’histoire qui moralise et qui enseigne. Il l’avait alors, dans cette grande école où débuta Hegel, un homme qui se souciait assez peu des théories mystiques, et qui, parmi de grands défauts sans doute, avait du moins ce mérite, si rare de nos jours et si rare surtout en Allemagne, de juger les faits à la lumière du droit. La philosophie de l’histoire, si disposée à absoudre les coupables en considération de ces lois supérieures dont les rois et les peuples ne sont que les instrumens, révoltait ce ferme esprit. Très hostile à l’école des métaphysiciens et des constructeurs du passé, il tombait souvent, je dois l’avouer, dans les erreurs contraires; l’élévation des vues lui faisait presque entièrement défaut, il manquait d’art et de poésie; n’était-ce pas cependant une nouveauté piquante et une salutaire discipline que l’enseignement de ce moraliste acerbe? Je parle de M. Schlosser, l’auteur de ï’Histoire universelle et de l’Histoire du dix-huitième siècle. M. Schlosser, fidèle en cela aux anciens, voulait que l’histoire fût un tribunal où le bien reçût sa récompense, et le mal son châtiment. Il exprimait à ses risques et périls, et trop souvent, il faut le reconnaître, avec plus de bonne volonté que de talent,