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volontiers pour confident ; mais les lèvres du vieillard firent seulement entendre ces mots : — Connaissez-vous le petit Klaas ?

« Je répondis que je n’avais pas l’honneur de le connaître.

« — Est-ce que le vieux Pierre ne vous l’a jamais montré ? Toute la ville connaît le petit Klaas. Il ramasse assez de cents, je vous l’assure !

« — Je n’ai jamais vu cet homme-là.

« — Ce n’est point un homme, ni rien de semblable. C’est un nain, monsieur, un véritable nain ! Vous pourriez le montrer à la foire. Mais c’est un méchant petit diable ; je le connais, moi !

« J’aurais désiré un peu plus de méthode dans le récit du vieux bonhomme.

« — Il vit dans l’asile, reprit Kees après une courte pause. Il court les rues comme un fou. Il fait beaucoup d’argent avec sa bosse. Lorsque les enfans reviennent de l’école, ils réunissent leurs pièces de cuivre, et le petit Klaas danse. Alors il fait des gambades autour de son bâton comme un singe et met sa bosse en relief, de sorte qu’elle paraît ce qu’elle est vraiment, énorme… Moi, je n’ai pas de bosse ! ajouta-t-il avec un soupir.

« Il était clair que Kees était plus jaloux de la monnaie que de la bosse en elle-même.

« — Je voudrais, continua-t-il, brossant l’habit trop rudement pour le drap qui coûtait vingt francs le mètre, je voudrais tant être bossu ! Je n’aurais plus rien à faire. Je gagnerais beaucoup d’argent, et les gens de la rue me regarderaient en riant… Mais je ne boirais point, continua-t-il en détachant tout doucement l’habit du chevalet et le pliant avec grand soin… non, je ne boirais point.

« — Kees, lui dis-je, si je vous ai adressé la parole lorsque je vous ai rencontré dans le jardin, c’est que vous sembliez triste. J’aimais encore mieux vous voir triste que de vous voir de mauvaise humeur, comme vous l’êtes maintenant.

« Les larmes revinrent dans les yeux du vieillard. Il étendit vers moi des mains ridées. Je les pris dans les miennes au moment où il était sur le point de les retirer, comme honteux de sa hardiesse. Avant de les lâcher, je serrai ces vieilles mains pour lui donner du courage.

« — Oh ! monsieur, dit-il, je ne sais comment m’exprimer ; mais j’étais plus affligé que colère. Le petit Klaas m’a fait bien du mal ! Le petit Klaas est un mauvais camarade. Les gens s’imaginent (et il se baissa pour ramasser sa brosse à cirage) qu’il est pauvre d’esprit ; mais il ne l’est pas. Il est seulement vicieux.

« — Viens, Kees, lui dis-je en levant le pan d’mie table de jardin. Assieds-toi là, et dis-moi franchement ce que t’a fait le petit Klaas.

« — Cela ne servira de rien, mais je n’hésiterai point à vous le dire, si vous me promettez de garder la chose pour vous-même… Connaissez-vous la maison ?

« — Quelle maison ?

« — L’asile.

« — Je l’ai vu extérieurement.

« — Bien. C’est un bâtiment maussade, n’est-ce pas ? un triste bâtiment avec des portes et des fenêtres rouges, et à l’intérieur toute sorte de choses