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pauvre s’adresse alors à la commune, qui regarde comme un devoir de le secourir.

Le climat lui-même n’a point été étranger au développement de la bienfaisance. On ne saisit bien que dans les pays du nord la portée de cette expression vulgaire : un homme sans feu ni lieu. Dans les régions heureuses du midi, l’homme, si dénué qu’il soit, a toujours au-dessus de sa tête la tente étoilée du ciel ; il se réchauffe au soleil, il est pour ainsi dire revêtu de la lumière comme d’un manteau. S’il se plaint, c’est de demeurer entre quatre murailles. Dans ces conditions, on comprend certains artistes de la mendicité, on ne les conçoit point chez les peuples des contrées froides. Chez ceux-ci, le chez-soi, le home, est une nécessité de l’existence. Il en résulte un sentiment de douce compassion pour ceux qui n’ont point où reposer leur tête. Ce sentiment délicat a été exprimé par un des poètes les plus populaires de la Hollande, Tollens. Je veux parler d’une pièce de vers intitulée le Chant d’un Soir d’hiver. Ce petit poème est en même temps une fidèle peinture de mœurs. Le vent souffle aigu et sec, le froid est rude, les arbres sont plus blancs que le plus blanc duvet, la rivière est dure comme du plomb. Le poète, qui se trouve si bien à couvert contre les rigueurs de la saison, remercie le ciel : avec du bois et du charbon de terre, il nargue la froidure. Il invite sa ménagère à secouer la tristesse. « Ici nous avons, lui dit-il, du punch chaud, du vin qui rit limpide au fond du verre, et un toit pour nous abriter. Si un ami vient à passer par le chemin, on lui offrira de la viande et du poisson. Quelquefois même, le hasard aidant, la chasse orne le plat d’un peu de venaison. Les jours anniversaires de la naissance, on y ajoute une tarte et un verre de vin plus délicat. Que l’enfant soit petit ou grand, nous boirons à l’heureuse année. » Puis la pensée du poète tombe sur les mendians, qui, eux, errent par la ville sous un ciel inclément. « Pauvres mendians ! s’écrie-t-il. Qu’il pleuve, qu’il grêle ou qu’il neige, il n’y a point pour eux de différence. Le jour anniversaire de la naissance de leurs enfans se lève, et une troupe d’amis ne vient point frapper à leur porte. L’indigent n’a ni feu pour se réchauffer, ni chants pour se donner du courage. Il n’y a point de présens pour le pauvre. » Le poète compare alors sa position et son comfort intérieur au sort de ces malheureux ; il s’égare dans une rêverie sur l’origine de la misère. « Serions-nous, se demande-t-il, pétris dans un meilleur moule et faits d’un meilleur limon qu’eux ? Dieu, dont les yeux voient tout, aurait-il choisi pour nous orner l’or et les diamans, et aurait-il vêtu ces gens de haillons ? » Cette pensée assombrit son front. À de telles questions sur les causes de l’inégalité des conditions entre les hommes, il ne trouve point de réponse. Il se dit que « la veste trouée peut couvrir un cœur honnête. » Cette réflexion augmente sa