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gouvernement ni de la ville, l’institut vit de ses propres ressources et se gouverne par ses lumières. La direction se compose de six personnes, choisies parmi les contribuables de l’œuvre. Trois de ces directeurs doivent néanmoins être membres des loges maçonniques, c’est un hommage de reconnaissance que l’établissement rend de la sorte aux anciens fondateurs et comme un souvenir de son berceau. Il doit également y avoir dans le conseil un ou deux médecins. Aux six directeurs-commissaires incombe la responsabilité morale de l’œuvre. On connaît assez maintenant les mœurs de la Hollande pour deviner que ces fonctions sont gratuites ; un des directeurs, membre de la première chambre, me disait : « Du jour où ces fonctions seraient rétribuées, on ne trouverait plus ici de personnes considérables qui voulussent les exercer. »

On avait commencé par louer un local : de 1822 à 1825, on acheta une maison. Cette maison, bâtie par un ancien bourgeois d’Amsterdam, raconte les mœurs et les richesses des beaux temps de la république. L’extérieur en est à la fois simple et grandiose ; l’intérieur respire un air de luxe : les corridors sont pavés en marbre blanc, les plafonds ornés de sculptures également en marbre. Une demeure si convenable ne suffit déjà plus aux besoins de l’institution, qui s’étendent sans cesse.

Comme tous les fléaux de la nature, la cécité frappe de préférence les individus de la classe pauvre. Ce fait, bien établi par les statistiques, a donné lieu à une question intéressante ; on s’est demandé si la cécité était une infirmité congéniale ou acquise. Naît-on ou devient-on aveugle ? Aujourd’hui cette question est résolue. Sur cent cas de cécité, il y en a peut-être quatre-vingt-dix-neuf où les malheureux qui ne voient pas sont devenus aveugles quelques jours après leur naissance. L’expression d’aveugle-né, qui est passée dans le langage usuel et même dans le langage scientifique, repose donc le plus souvent sur une ancienne opinion erronée. D’après la nouvelle manière d’interpréter les faits, ce ne serait point en général la nature qu’il faudrait accuser : ce serait l’ignorance des familles, le manque de soins, certains préjugés locaux et certains usages réprouvés par l’hygiène[1]. Dans quelques villages des Pays-Bas, où les habitans résistent encore aux bienfaits de la vaccine, la petite-vérole fait beaucoup d’aveugles. Cette résistance se greffe malheureusement sur une fausse idée religieuse, sur le dogme fataliste de

  1. On a observé que la proportion des aveugles relativement aux voyans était moins forte dans les pays du nord que dans les pays du midi. Cette circonstance a lieu d’étonner, puisque les influences d’un climat froid et humide doivent être naturellement plus pernicieuses que celles d’un climat chaud et sec. I.es hommes de l’art ont cru trouver la raison de ce fait dans un autre ordre d’influences. Les pays du midi sont catholiques, les pays du nord sont protestans. Dans les états catholiques, on baptise les enfans immédiatement après la naissance ; dans les états protestans au contraire, on diffère plus ou moins cette cérémonie religieuse Les médecins hollandais estiment que le transport des nouveau-nés par les temps froids et dans les églises humides afflige ces petites créatures d’ophtalmies qui, négligées, dégénèrent bientôt en une destruction de l’organe visuel. Ce n’est point, selon eux, le nouveau-né qui devrait aller vers le prêtre, c’est le prêtre qui devrait se rendre vers le nouveau-né.