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liers de cette bienfaisance publique, signaler les établissemens utiles qui n’existent point ailleurs, définir l’originalité du système qui préside à la distribution des secours. Le caractère dominant et distinctif de la charité batave est l’initiative individuelle. En France, l’état est grand aumônier ; en Hollande, l’état s’abstient, ou du moins il n’intervient que dans le cas où l’action religieuse et personnelle se retire. À Dieu ne plaise que nous prétendions attaquer le système créé en France par la révolution de 89 : nous le croyons excellent et supérieur à beaucoup d’égards ; il n’est pas sans intérêt toutefois de lui comparer un système opposé, et de chercher dans le contraste des faits un moyen d’éclairer les doctrines morales.

On peut diviser en deux branches distinctes le système de charité qui se pratique dans les Pays-Bas : cette charité est ou préventive ou curative. Au nombre des institutions destinées à prévenir la misère, nous placerons celles qui se proposent d’instruire les classes nécessiteuses et de leur fournir du travail. Au nombre des institutions qui ont pour but le soulagement des plaies sociales, nous rangerons les établissemens qui reçoivent l’enfance abandonnée, disgraciée, ou la vieillesse dépourvue de moyens d’existence. Entre les unes et les autres, il existe un lien sans doute, mais ce lien est en quelque sorte fortuit, involontaire. Si le système s’est trouvé complet, si la Hollande est un des pays où il y a le moins de misères saignantes qui échappent à l’assistance mutuelle, c’est que sur chaque besoin s’est greffé un acte de charité particulière et intelligente.

I.

À la tête des institutions appelées à combattre le paupérisme par la diffusion des lumières, et dont on chercherait vainement le type chez les autres nations civilisées, se place la société d’utilité publique, — tot nut van’t Algemeen. En 1784, un ministre protestant de Monnikendam, appartenant à la secte des mennonites, Jean Nieuwenhuijzen, dit un jour à son fils Martin et à quelques amis : « Je vois des érudits qui s’occupent à publier de gros livres et à répandre leur nom dans les classes éclairées ; je vois partout des sociétés savantes, je vois des riches qui commencent à s’enivrer du luxe de la littérature renaissante et des beaux-arts ; puis je vois à côté d’eux une masse d’infortunés qui croupissent dans l’ignorance : ils ne savent ni lire ni écrire, et même le sauraient-ils, qu’ils n’auraient pas les moyens d’acheter ni de comprendre les ouvrages des beaux esprits. Les choses ne peuvent demeurer en cet état ; nous devons faire quelque chose pour ces intelligences déshéritées. » Nieuwenhuijzen et ses amis se mirent bientôt d’accord sur les bases de l’œuvre qu’il